BACKPACKERZ : Avec Seezy, vous vous connaissez depuis peu de temps finalement. De quand date votre rencontre précisément et quand avez-vous commencé à travailler sur Rage ?
7 Jaws : Ça fait un an et demi à peu près qu’on se connait, depuis octobre 2018. A l’époque, j’avais besoin de partir sur un projet plus long après mon deuxième EP Steam House. J’avais déjà une vingtaine de morceaux mais à partir du moment où j’ai rencontré Seezy et qu’on a décidé de bosser ensemble, j’ai fait table rase de tout ce que j’avais avant. Il fallait profiter de cette énergie et de cette envie, et au final, je suis plutôt content de ne pas avoir retouché aux anciens morceaux. Ça appartient au passé.
C’est un projet assez court (10 sons), comme on en voit de plus en plus. Est-ce un format idéal ?
Ensemble, on a dû faire 15-20 morceaux et on en a gardé dix pour le projet. On aurait pu en garder d’autres mais on avait la volonté de faire un truc court et costaud ! C’est vraiment défini comme une mixtape, un format qui serait entre l’EP et l’album. 10 sons, c’est le bon compromis. L’album arrivera par la suite.
Comment s’est passée la collaboration avec Seezy ? As-tu trouvé en lui une sorte d’alter-ego musical?
Déjà, c’est devenu un vrai « poto ». Faire du son avec un ami, c’est toujours mieux : les idées fusent, on se comprend plus vite… Quand il me propose par exemple une prod qui m’est un peu réservée, je me mets direct à viber dessus et je sais qu’on va faire quelque chose de bien. Il n’y a pas du tout d’appréhension. Et puis surtout, il est fort ! Les prods t’inspirent direct, il y a quelque chose d’immédiat dans ce qu’il fait. C’est important de trouver une personne avec qui tu as envie de t’enfermer dix heures en studio trois jours d’affilée. Au final, on s’est presque plus vu tous les deux en dehors du studio, et ça depuis le début de notre rencontre. On a passé beaucoup de temps à jouer à Guitar Hero, à faire des conneries, à discuter de la vie de chacun.
Qu’est-ce qui t’a plu chez lui musicalement ?
Son efficacité ! Quand il me faisait écouter des prods, c’était compliqué d’ailleurs, parce que je validais tout : « Ouais, ouais, ouais… ». C’est lui qui me rappelait qu’il fallait qu’on fasse gaffe quand même. Il bossait en même temps sur le Vald, et généralement il lui propose ses beats quand il a quelque chose de chaud, mais j’ai pu profiter d’une petite faille en récupérant celui de « Turbo S ». Seezy, il a ce côté cainri, mais pas trop non plus. Il y a une influence claire mais il est très adapté au rap français. Sinon j’aime ses guitares ! Quand il te fait une prod 100% à la guitare dans sa chambre, je pète un plomb. Tu comprends que tout est possible en fait. Je suis aussi un gars du rock, de l’acoustique et sur ça, on s’est très bien entendu.
On sent que tu es très marqué par le métal et les divers sous genres du rock. Tu peux nous citer quelques unes de tes influences ?
Je peux te citer Korn, Metallica, Megadeth ou Gojira en France par exemple. J’aimais bien aussi la fusion de Rage Against the Machine. Après, j’ai découvert des trucs de fou comme Skindred qui font une espèce de reggae metal… Ce ne sont pas vraiment des références, juste des trucs que je me suis pris. Je me mets à écouter leur discographie et je découvre quoi ! Il y a encore plein de trucs à découvrir d’ailleurs.
Comment s’est déroulé le choix des prods pour le projet ? On sait que Seezy termine beaucoup de prods par jour et qu’il bossait en même temps sur le dernier Vald.
Quand on a commencé, on tapait dans ce qu’il avait déjà fait et puis, au fur et à mesure, il savait ce qu’il manquait à l’album. Je n’avais pas suffisamment de recul sur le projet pour penser comme ça. Lui, il a fait des albums avant, il a cette vision. Moi, sur mes EP, à l’époque, j’avais 7 sessions studios pour sortir 7 sons… Il a vraiment drivé le projet. Il a commencé à plus cibler ce qu’il m’envoyait pour avoir un projet « complet ». Il a vraiment fait un boulot de réalisateur. Il va d’ailleurs continuer en réalisant mon premier album. Il y aura d’autres producteurs sur le projet mais il supervisera l’ensemble. Il sera présent à chaque session studio pour communiquer avec les beatmakers et donner les directions à suivre.
Concernant le mix du projet, on retrouve un nom prestigieux : NkF. Comment es-tu arrivé à l’embarquer dans ton projet ?
J’ai tout de suite dit que ce serait ouf si NkF mixait le projet. Tout le monde m’a dit que c’était mort, que le gars refusait tout le monde, qu’il sélectionnait les projets. On a décidé de lui envoyer quand même au cas où, et le gars, le lendemain, nous a répondu qu’il allait faire un essai. Il a mixé morceau par morceau, toujours à distance car il est au Canada. Il m’envoyait une version, je lui faisais une petit message de modifs et il me renvoyait directement. A chaque fois, il m’appelait, que je sois à Sarrebourg, Tokyo ou Paris pour me faire un bilan des morceaux : « Ça, très gros morceau », « ça, j’adore »… et il y a eu d’autres morceaux où il n’a pas hésité à me dire que je faisais fausse route. Il est ultra franc et j’adore ça. Quand il me disait que j’avais fait des gros morceaux, ça voulait dire qu’il le pensait vraiment. C’est vraiment le troisième membre de ce projet.
Concernant ton écriture, tu es plutôt du genre à improviser devant le micro comme un Young Thug ou plutôt à écrire en amont ?
J’écris grave en amont, avant de poser. J’écoute la prod longtemps, ça peut durer des heures ou des jours selon la configuration et je n’écris rien, même pas un départ. Mais dès que j’ai commencé à écrire , je finis le texte dans l’heure sans jamais revenir dessus. Même s’il y a des choses qui peuvent me gêner, je me dis que les failles ont du bon. Si tu retaffes constamment ce que t’écris, tu peux ne jamais en sortir et il y a un risque que ça devienne trop lisse. Il faut garder du naturel, je pense. C’est quelque chose de propre au rap. Par exemple, à la base, j’étais vraiment obnubilé par le fait de rapper dans les temps. Je m’éloigne de ça au fur et à mesure et j’essaie de me lâcher un peu plus. Toujours plus d’instinct !
Concernant la pochette, on est déjà rassuré de voir qu’il n’y a pas que Fifou qui opère dans le rap français… Elle a tout de même provoqué une mini polémique due à sa ressemblance avec celle de Without Warning, sorti en 2017. Comment est née cette pochette réalisée par Raegular ?
Je guettais les covers que je kiffais en ce moment, et ce gars là, Raegular, c’était des sans faute à chaque pochette. On a d’abord contacté un photographe qui s’appelle Ojoz, on a fait le shooting et je me disais que si lui faisait les photos et que Raegular faisait la cover, ça allait être carré. Ojoz m’a dit qu’il avait l’habitude de bosser avec un pote et m’a demandé si ça ne me dérangeait pas… Il se trouve que ce pote en question, c’était Raegular ! Tout s’est imbriqué très simplement. A la base, on voulait mettre un Dobermann dans la neige. On voulait vraiment cette idée de chien pour coller au titre : le coté animal, l’impulsivité, le chien battu qui deviendrait dangereux. On a fait un shooting avec des chiens, on a regardé les photos mais on avait toujours pas la cover qui nous convenait. On s’est dit finalement qu’on allait pas montrer nos têtes mais juste mettre le chien en avant. Il y avait au départ une référence à Without Warning, mais on s’est tout de suite dit qu’il ne fallait pas que ça ressemble. Et finalement, ça y ressemble ! (rires) Mais on trouve que ça tue, franchement. Une cover avec un chien, Without Warning ne l’a pas inventé. Même dans les pochettes de punk, ça se faisait. On savait que des gens allaient parler, mais j’aime cette cover. Quand je la regarde, je kiffe. Au tout début du projet, je me suis même tatoué « Rage » avec un Dobermann sur le bide. Je suis superstitieux.
D’où te vient cet amour du tatouage ?
J’ai ça depuis tout petit. J’étais bien tatoué déjà à 17 ans. Je me sens de mieux en mieux à chaque tatouage, j’ai l’impression que je me modifie. Je deviens un peu plus ce que je veux physiquement, c’est pas du tout pour l’esthétique en mode Les Anges... Je me mets des symboles, des pense-bêtes, je me tatoue même seul parfois. Je me sens mieux dans ma peau.
Ça t’aide pour la confiance ?
La confiance en soi, c’est méga fluctuant. Ce dont je suis certain, c’est que je ne pourrai jamais être heureux autrement que dans la musique. C’est déjà bien de te dire qu’il n’y a que ça qui te remplit. Si je reviens à Sarrebourg, c’est pour l’usine frère… Crois-moi que je vais retarder l’échéance. Il y a zéro plan B. Mais je pense que c’est aussi une manière d’y arriver, de se mettre dans une situation inconfortable où tu te dis : « C’est ça ou rien ».
Est-ce simple quand on vient de province de se projeter dans une possible réussite dans le rap, de se créer son propre monde ?
A Sarrebourg, le rap n’est pas absent. Il est rare de voir des gens qui en font mais le rap est partout chez les auditeurs. Il faut écouter du son, se faire ses goûts avant de se lancer. J’ai écouté beaucoup de rap à l’époque, avec des gens qui écoutaient de tout, de l’extrême hardcore jusqu’aux trucs « gentillets ». Je trainais dans un appart où ça envoyait du son, où ça improvisait, on kiffait vraiment ça. C’est une culture omniprésente. Sarrebourg, c’est un peu comme la banlieue parisienne en fait, entre Nancy et Strasbourg. En arrivant à Paris, j’ai beaucoup trainé à Barbès parce que il y avait la traphouse Benibla. Je passais ma vie là-bas, je ne connaissais personne en arrivant ici. Il y avait beaucoup de monde là-bas, que des mecs dans des projets divers. Ça m’a vraiment motivé car ces gars me ressemblaient.
Revenons à ton projet. On peut noter une chose, c’est l’absence de featuring, excepté Seezy, symboliquement, qui supervise le projet. Est-ce une volonté de ta part ?
On s’est dit avec Seezy qu’on voulait faire un projet ensemble déjà de base. Et puis à cette époque, on n’a pas forcement eu de contact avec les autres rappeurs. J’ai du mal à aller vers eux mais ce n’était pas forcement quelque chose de voulu ou décidé genre : « on fait pas de feat ». Pour l’album à venir, il y a des rencontres qui commencent à se créer et puis la sortie de ce projet va m’aider à faire connaitre mon univers à d’autres artistes. Cette mixtape, c’est vraiment une présentation.
Tu vois cette mixtape comme une carte de visite ?
Après pour moi, à mon stade, chaque projet est une carte de visite. Je vois plutôt ça comme des mises à jour. Ça se trouve, pour mon prochain album, on me parlera encore de carte de visite alors que j’en aurai distribué des papiers Canson ! (rires) Je vois ce projet comme une présentation de mon état actuel. Ce qui serait beau pour moi, c’est qu’à la fin de ma « carrière », on puisse faire un tableau chronologique de mes états d’esprit. J’espère que dans 3 ans, je ferai des projets méga happy, et je n’aurai pas l’impression d’avoir changé pour autant. Je veux que mes projets soit des photos de qui j’étais au moment où je les ai faits.
As-tu peur avec les projets successifs de perdre cette fibre nostalgique, les tripes qui t’ont poussé à quitter Sarrebourg ? De perdre, au fond, un certain moteur de ton écriture ?
Non, pas du tout. Parce que pour moi, ce serait forcement positif que je parle d’autres choses, que je puise dans d’autres énergies. Il y aura toujours un peu de mélancolie car c’est présent en chacun de nous, mais on peut en parler autrement. Il y a un million de possibilités de traiter les sentiments. Ma hantise ce serait plutôt de faire deux fois le même projet. Il faut changer, rencontrer des gens, parler, écouter leurs histoires… J’écris pour d’autres artistes par exemple, et je sens que j’ai cette faculté d’écouter quelqu’un avec attention et d’écrire en me mettant à sa place.
Est-ce si différent d’écrire pour les autres ?
Carrément, c’est beaucoup plus simple à mon sens. Quand c’est pour moi, je mets un point d’honneur à vraiment dire ce que je ressens, ce que je suis vraiment alors que pour les autres, il faut écouter et rendre compte de ce qu’est la personne. Il te raconte son histoire et ses volontés, je me mets dedans et j’écris le son. Il faut que je le ressente grave, c’est une distance qui me donne finalement des libertés. Il faut avoir une vraie discussion et c’est quelque chose que l’on ne fait pas si souvent finalement. A partir du moment où tu as compris ce qui est demandé, il faut se mettre dans un rôle. J’ai même écrit des chansons sur le fait d’être père alors que j’en suis loin !
As-tu ressenti l’ombre de Vald pendant l’écriture du projet, avec Seezy qui travaillait sur les deux tableaux ? Etait-ce une pression pour toi ?
Pas de la pression non, car on ne fait que de la musique. C’était très sain au final. Il a écouté l’album, il a donné ses avis et il a kiffé dans l’ensemble. Les échos que j’ai eu, c’est qu’il me disait de faire attention à ne pas trop raconter et me contenter de ça, qu’il fallait plus rapper etc. Et en écoutant « Par ici », il a beaucoup aimé le résultat.
Pour continuer sur ce morceau, tu es parti le shooter en Irlande avec Bleu Désert parmi la communauté des Travellers. Pourquoi ce choix ? On pourrait y voir une sorte de lien avec tes origines sociales, les classes blanches défavorisées.
Je suis allé chez les Travellers pour plusieurs raisons. Premièrement, c’est une communauté opprimée : ils ne peuvent pas bosser, n’ont pas accès aux crédits… C’est au-delà de la précarité, c’est vraiment de la survie. C’est une communauté très jeune, 50% ont moins de 15 ans ! Leur foyer, c’est là où ils se sentent le mieux, c’est une vraie idée de liberté. Ce qu’ils veulent, c’est rencontrer des gens toute leur vie. C’est là que j’ai eu l’impression qu’ils étaient entrés dans ma tête. Je voulais éviter le misérabilisme et montrer le beau chez eux : les enfants, les regards… Ils ont ce coté combatif. On est d’abord venu deux trois jours sur place pour s’intégrer, pour éviter le coté « on vient vous filmer comme des animaux ». On a tapé des grosses soirées sous Guiness, chacun invitait l’autre à son tour. Je m’y sentais vraiment bien.
On connait également ton amour du Japon (où fut tourné le clip de « Turbo S »), qui est finalement très peu présent sur cette mixtape au niveau du contenu.
Le Japon, c’est ma maison, j’y vais tout le temps. Je m’y sens très bien et j’ai beaucoup d’amis sur place. Il fallait que je fasse un clip du projet là-bas. Ce n’était pas spécialement pour montrer Tokyo mais je voulais que ce soit un beau clip. J’ai pu montrer à Bleu Desert (le duo de réalisateurs) mes amis là-bas, les endroits où je traine. On a pris les mêmes décors qu’un clip que j’ai moi-même fait avec ma perche GoPro quand j’ai commencé. Le Japon fait partie de ma culture personnelle, mais je ne veux pas que ça devienne un trait caractéristique de ma musique.
Qu’est-ce qui te plait tant dans la vie à Tokyo ?
Le Karaoké et les ramen (rires). Le Karaoké, c’est un vrai piège ! Tu chantes 4 fois Linkin Park et tu restes coincé. C’est la vie là-bas en général qui me plait. Déjà les mangas quand j’étais petit, on s’imagine un monde qui n’existe pas. Ça m’a un peu initié à cette culture. Mais je suis vraiment tombé amoureux de Tokyo en y passant du temps, avec les amis que je m’y suis fait. Ça aurait pu être n’importe où mais l’énergie là-bas est spéciale. La vie nocturne est parfaite pour moi qui déteste me coucher, à part quand je tombe vraiment de fatigue. Je veux toujours faire des trucs. Il y a toujours plein de trucs à faire à Tokyo la nuit, tu peux graille, partir en vadrouille… Tu peux assumer d’être habillé un peu spécial car tu seras toujours beaucoup moins spécial que le plus spécial !
Entretien réalisé avec Florian Perraudin-Houssard.
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