Album charnière dans la carrière de The Game, The Documentary s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaires, tout en constituant un sommet que son géniteur n’a jamais été en mesure d’égaler. Alors qu’il fête son quinzième anniversaire, il nous paraît nécessaire de rappeler pourquoi ce disque est un classique, en cinq points.
Depuis 1994 et le succès d’Illmatic, il est de plus en plus commun de faire appel à un grand nombre de producteurs différents sur ses albums. The Game n’a pas dérogé à la règle en allant dégoter pas moins de 18 producteurs et co-producteurs pour réaliser son le chef d’oeuvre que deviendra The Documentary. Le protégé de Dr. Dre enrôle la crème de la crème du beatmaking pour son premier album. Un magnifique casting de vétérans et étoiles montantes de la production parmi lesquelles on retrouve Kanye West, Timbaland, Havoc, Scott Storch, Just Blaze, Cool & Dre, Hi-Tek ou encore Buckwild.
Aussi surprenant que cela puisse être, cette armada de producteurs s’articule à la perfection sur l’album. Chacun apporte sa patte, rendant les morceaux uniques, à l’image des bangers « Westside Story » et « How We Do » signés Dre, ou du soulful « Dreams » produit par Kanye West.
The Documentary a aussi été l’occasion pour certains beatmakers de voir leur carrière exploser. C’est le cas du duo Cool & Dre, auteur du hit « Hate It or Love It », véritable merveille de l’album.
Le vent de fraîcheur apporté par The Game avec cet album provient notamment du fait que la plupart des producteurs qui ont contribué à ériger ce classique ne sont pas des beatmakers West Coast. Un fait qui n’était pas si commun en 2005, où la plupart des artistes californiens travaillaient avec leurs pairs pour créer une cohérence entre les paroles et les sonorités gangsta rap sur les projets.
La production fut un des aspects importants de The Documentary. Le mélange des styles aura permis de créer un album hybride, au point que The Game considère son premier opus comme « Ready to Die, Reasonnable Doubt and Doggystyle in one » sur « Dreams ».
« Since the west coast fell off, the streets been watchin, the west coast never fell off i was asleep in compton ». Sur les premiers mots de « Westside Story », le ton est donné. The Game compte bien prendre la succession sur le trône du rap californien qui reste en quête de lumière depuis l’apogée du gangsta rap des années 90.
Au moment de la sortie de The Documentary, Pitchfork déclare que les rappeurs californiens ne représentent plus que 3% des morceaux en playlist à la radio, ce qui est très peu. Game arrive avec une réelle volonté de redorer le blason de sa ville et de son état qui brillait si fort il y a encore quelques temps. Pour marquer une certaine continuité avec les plus grands acteurs de cette scène, l’opus s’intitulait à l’origine Nigga Witta Attitude, Vol. 1 en référence à N.W.A., mais pour des raisons légales, le MC se décidera plus tard pour le nom The Documentary.
C’est donc sans surprise qu’un casting 5 étoiles de producteurs s’attellera à fabriquer des sonorités aux vapeurs purement californiennes, faisant ainsi de ce contre-pied aux tendances actuelles un album particulièrement savoureux qui saura séduire sans difficulté dès le moment de sa sortie. La dureté du flow et des lyrics de Game mélangée à des productions sur-mesure imaginées dans le but de raviver la flamme du rap californien, font de lui, à cet instant, le seul et unique candidat pour reprendre correctement le flambeau.
Au début des années 2000, le crew G-Unit est au centre du paysage médiatique rap. Fondé par la star montante 50 Cent, le groupe a vu sa cote grimper suite au succès international de l’album Get Rich or Die Tryin’, à la suite duquel Curtis Jackson va créer G-Unit Records et signer ses consorts Lloyd Banks et Tony Yayo. Lorsque Dr. Dre découvre The Game, il le fait signer à son tour sur le label de 50 Cent, renforçant le crew new-yorkais par une recrue de Los Angeles. The Game collabore tout d’abord sur les albums de Lloyd Banks et Tony Yayo, avant de mettre à son tour G-Unit sur le devant de la scène grâce à The Documentary.
Le nouveau protégé de Dre invite 50 Cent sur trois morceaux de son premier album (Tony Yayo apparaîtra aussi sur « Runnin »). Ces morceaux seront les trois premiers singles issus du projet : « Westside Story », « How We Do » et « Hate It or Love It ». L’alchimie entre les deux rappeurs fonctionne à merveille. Game et Fifty échangent les couplets, évoquant tour à tour leur passé respectif, pas si éloigné l’un de l’autre bien qu’ils soient issus de deux univers différents. Le clip de « Hate It or Love It » met d’ailleurs l’accent sur cette ambivalence en opposant les ruelles sombres du Queens aux avenues ensoleillées de Compton.
Les refrains écrits en majorité par 50 Cent ont fait le succès de ces morceaux classiques qui deviendront les symboles de la domination de G-Unit sur l’industrie musicale. « How We Do » et « Hate It or Love It » viendront squatter le top 5 du Billboard pendant quelques semaines, faisant de ces deux morceaux les plus populaires de The Documentary. Malheureusement, le succès de ces singles sera aussi le sujet de la discorde au sein du G-Unit, qui verra The Game évincé du crew et le début d’un beef de plusieurs années entre les deux rappeurs.
Si The Documentary est aujourd’hui considéré comme un disque inoubliable, il le doit également à la qualité indéniable de ses hooks. Un savant mélange de bangers gangsta rap et de morceaux plus smooths aux tonalités R&B qui crée un ensemble éclectique mais ultra cohérent dans lequel chaque refrain est calibré pour marquer. Ici, The Game raconte une histoire, son histoire. Les refrains, qui s’avèrent être souvent confiés aux invités, se chargent d’ailleurs d’appuyer l’aspect introspectif et la narration du disque. Qui de mieux alors que Busta sur « Like Father Like Son » ou 50 cent pour découper l’instrumental de « How We Do » et faire entrer ces morceaux dans la légende ?
Grâce à Dr. Dre, The Game a su s’entourer et maîtriser parfaitement le dosage entre son storytelling cru, agressif et tranchant, et ses refrains calibrés confiés à d’autres timbres de voix et flows, pour rendre le tout inoubliable. Ce n’est alors pas un hasard si, encore aujourd’hui, la plupart des refrains nous viennent en tête rien qu’en lisant le titre d’un morceau de l’album.
Difficile de faire une pochette d’album Rap plus iconique. Loin des années 2010, de l’univers feutré de Flower Boy, de celui plus épuré de Dans La Légende, The Game, alors récemment signé sur Aftermath, prend la pose et laisse place à l’histoire. Le rendu est résolument West Coast et fidèle à l’univers du rappeur. Une retranscription « The Game » tapageuse, des jantes cuivrées, les tatouages hommage à ses idoles 2Pac et Eazy-E, la défiance emplissant son regard, et bien évidemment la chaîne rutilante. La panoplie parfaite du gangbanger fou de Rap. L’histoire d’un gamin de Compton devenu visage de sa ville. Une cover restée dans les mémoires.
The Documentary est une oeuvre majeure du Rap Us des années 2000. D’abord, il s’agit d’un album générationnel ayant traumatisé (quasiment) tous les auditeurs de Rap nés au début des années 1990. Ensuite, on parle d’un disque qui a su remettre, au moins temporairement, Compton au centre de la carte Hip-Hop, faisant de The Game l’héritier d’un trône West Coast laissé vacant par les légendes Ice-T, 2Pac, Too $hort, Snoop Dogg, et son parrain Dr. Dre. Si son étoile s’est ternie par la suite, la faute à des choix artistiques pas toujours opportuns (cette fâcheuse tendance à vouloir s’approprier les flows de ses contemporains, sa sélection de prods parfois aléatoire, son agaçante manie pour le name-dropping, ce légendaire featuring avec La Fouine…), The Game reste l’une des plus grandes figures du Rap de la décennie passée, qui eut un impact non négligeable dans la construction de la carrière d’un Kendrick Lamar, lorsque celui-ci n’était encore qu’un quidam.
Article écrit avec Sebastien Laurent et Antoine Fournier.
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