L’impatience commençait à se faire sentir. D’abord annoncé tambour battant pour le 7 décembre, iam > i was a été mis à flot par une campagne virale un peu trop explosive, pour que la sortie soit finalement reportée au 21 décembre. Hasard du calendrier ou symbolisme des chiffres ? Il n’en demeure pas moins que la campagne de teasing a été savamment orchestrée par 21 Savage en personne, avec cette nonchalance hors pair dont il a le secret. Le 7 décembre dernier, il avait précisé sur Twitter et au grand dam de ses fans que la sortie serait retardée du fait d’un … simple oubli :
Dam I forgot to drop my album my bad y’all.
Impossible de ne pas y voir ici la manœuvre d’un artiste qui minimise la portée de son projet, avec une modestie insolente ou un je-m’en-foutisme chronique, c’est selon !
Sur son projet i am > i was, 21 Savage revient plus fort que jamais. L’album a été ainsi propulsé n°1 des ventes à travers le pays (US), au sein du classement Billboard 200, dès le 30 décembre 2018. Rugissant et bondissant de son univers sombre et propice à l’humeur noire, le rappeur d’Atlanta présente donc son deuxième album. Successeur d’un Issa Album qu’il avait sorti en 2017 et qui avait été suivi du projet Without Warning, réalisé aux côtés d’Offset et le producteur de talent Metro Boomin.
Le titre de ce nouveau projet sonne comme une rédemption mathématique, où 21 Savage aka Shayaa Bin Abraham-Joseph déroule 15 titres de haute qualité aux côtés de ses pairs. Pas bégueule pour un sou, le rappeur d’Atlanta apparaît régulièrement avec sa mine d’ange déchu et sa nonchalance emblématique, ce qui ne l’empêche pas d’être investi malgré l’image qu’il renvoie. En comparaison avec son précédent album où il semblait vouloir contenter tout le monde, 21 Savage semble davantage avoir bâti une sorte de mise en scène autour de la sortie de i am > i was, et offre un album beaucoup plus personnel. Car rien n’est laissé au hasard, et le mécanisme est au contraire bien huilé. De la simulation du simple oubli, à un report de date de sortie hautement symbolique, tout laisse penser que le jeune gamin a compris les rouages du système. Même s’il est un artiste à part entière, il doit alimenter un mythe, et par conséquent une certaine forme d’artifice. Faut-il y voir une prise de conscience liée à la maturité ou davantage la mise en pratique des conseils avisés de ses aînés, rois des story-tellers ?
Ce projet ne manque pas de ressources, à bien considérer les différentes collaborations. Car aucun reproche ne peut être fait à 21 Savage quant à sa reconnaissance, et la gratitude dont il fait preuve à l’égard de ses mentors. Ainsi, quand il ne les cite pas dans ses textes, ils réalisent des featurings avec eux, ou les sollicite pour des prods. En réalité, il passe son temps à faire du « track dropping » en mentionnant les titres phares de certains de ses potes sur une grande partie de ses propres morceaux. Il introduit l’album par « a lot » en featuring avec J. Cole, en samplant « I Love You » de East Of Undergroung, où il ne manque pas de mentionner discrètement « This Is America » de Childish Gambino, un des artistes qui collabore aussi sur i was > i am.
Il semble aussi que 21 Savage ait été largement influencé par Drake. Les références, clins d’œil, et sources d’inspiration sont parfois étroitement liés à celles du chanteur canadien. Aussi Drake avait samplé récemment Lauryn Hill sur le titre « Nice For What », que 21 Savage devait lui-même initialement sampler pour le titre « Letter 2 My Momma » mais auquel il a dû renoncer pour des problèmes de droits.
Toujours dans une logique de mise à l’honneur, sur l’excellent titre « Out For The Night » qui n’est autre qu’un clin d’œil au titre de Carlos Santana « Samba Pa Ti », 21 Savage ressuscite quelques riffs pour une ambiance totalement feutrée. Il évoque ses relations et affiche de manière décomplexée sa non-sentimentalité et en profite pour faire une nouvelle dédicace à son parrain de cœur, Drake, en expliquant à la manière d’un Bad Boy « I was in my feeling, now it’s Fuck Kiki » en référence au titre « In My Feelings ».
Enfin, sur « Out For The Night – part.2 » on reconnaîtra la voix de notre cher Travis Scott qui s’offre un couplet qui présente de nombreuses similitudes avec le titre « Sicko Mode » de son album Astroworld, sorti cet été. Même chose, sur « Gun Smoke », il va jusqu’à détourner le célèbre titre « CoCo » de O.T Genesis en déclarant « I’m in love with the gun smoke ».
En cela, 21 Savage, réussit un tour de force dans la mesure où il parvient à fédérer autour d’un projet des artistes qui ne sont pas nécessairement des clients faciles, et à faire cohabiter des références musicales plurielles. Ainsi, il puise dans des samples funk, voire même des titres issus du courant blues jazz quand il convoque Santana.
Poncif et grand classique du rap, 21 Savage parle sans détour de la violence, de ce qu’elle représentait pour lui dans cette époque révolue du « I Was ». Sur « Gun Smoke », il confie avec honnêteté cette passion quasi extatique pour les armes à feu et y dresse un inventaire à la Prévert. Du Deuce Deuce, en passant par l’AK, il assume totalement l’obsession qu’il a pour les armes, qu’il convoite, à la manière d’idoles.
Paradoxalement, 21 Savage déclame ses couplets d’une voix quasi métallique et sur un ton invariable pour évoquer des sujets d’une extrême violence. Là où l’on pourrait s’attendre à un ton plus abrupte, et des couplets qui tombent drus, à la manière d’une pluie de balles qui viendraient s’écraser sur le bitume. Par morceaux successifs, il décrit une réalité urbaine où les corps tombent sous le coup des règlements de compte, laissant des frères et des mères éplorés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si 21 Savage porte sur son corps, comme un étendard, des symboles rappelant à sa mémoire certains des êtres qui lui sont chers. A commencer par cette dague qu’il arbore entre les yeux, et qui fait écho au tatouage de son frère tué en prison.
Comme un préambule à l’album, le premier titre produit par DJ Dahi « a lot » résume assez bien l’ensemble du projet. Il permet aussi de comprendre le déchaînement de violence dans lequel a évolué 21 Savage. Il revient progressivement sur sa vie
My Brother lost his life (…) and it turned me to the streets
et il rappelle qu’il a été blessé de 6 balles « How many times you got shot, a lot? ». Mais il semble néanmoins délimiter sa vie passée, avec la nouvelle, qui s’apparente à une forme de marche spirituelle vers la rédemption.
Ce nouveau projet i am > i was est la preuve que 21 Savage se situe à un point de rupture dans sa vie, où il distingue l’ancienne et la nouvelle. Et ce nouveau tournant est en partie lié à la musique. D’ailleurs, il fait référence au succès et à l’ascension dans le titre « Monster » en featuring avec Childish Gambino où il révèle avec une extrême conscience son rapport à la célébrité, et sa conception du dépassement de soi « You could dump me in the middle of the ocean, I’m still comin’ out dry (Dry) You can leave me in the jungle with bears and tigers, I’m comin’ out fly (Fly) ». 21 Savage, serait-il ce même artiste accompli s’il n’avait pas été mis au défi par la vie ? Comme il le déclare, cette éclosion et ce succès ont été très largement motivés par les aléas de la vie, et souvent de sombres épisodes.
All the pain and all the struggle made a superstar.
Même si 21 Savage est un dur à cuire, il faut admettre qu’il y a des inflexions sentimentales sur cet album. A commencer par le titre « Ball w/o you » que la critique avait jugé comme étant un récit autobiographique de sa liaison avec Amber Rose. Dans la même veine, « Letter 2 My Momma », produit par Kid Hazel à qui l’on doit 6 des 16 titres du projet dont « Gun Smoke », « Asmr », « Out Of The Night », est une très belle déclaration.
Sur le fond, 21 Savage réussit avec brio à nous embarquer dans un tas d’ambiances différentes sans vouloir contenter l’unanimité, et même s’il mime l’attitude d’un artiste qui aurait littéralement sorti de son chapeau un nouveau projet, c’est à s’y méprendre. Aussi bien dans la vie que dans son projet artistique, il y a une vraie rupture et il semble vouloir donner une nouvelle orientation à sa carrière. Chaque titre est travaillé avec rigueur, et ne manque pas de références à des grands noms d’artistes célèbres ou moins connus. Enfin il parvient à rassembler de vrais talents et à s’inscrire dans une forme de spontanéité qui rend le projet plus authentique et personnel.
De quoi rendre ses fans encore plus impatients pour le prochain projet.
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