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20 ans après, ‘Let’s Get Free’ de Dead Prez est toujours aussi pertinent

Ce qu’on appelle souvent « rap conscient » a toujours trouvé sa place dans le paysage hip hop, bien qu’il se soit peu à peu essoufflé au cours des années 90 pour laisser place à des morceaux plus décomplexés dans les années 2000. C’est d’ailleurs à l’orée du 21ème siècle que le duo Dead Prez sortait son premier album Let’s Get Free. L’album vient souffler un vent de révolution sur le rap US avec des prises de positions affirmées et un engagement certain dans plusieurs domaines. Un projet qui résonne toujours 20 ans plus tard.

La genèse

L’aventure du duo Dead Prez trouve ses origines en Floride dans les années 90. stic.man est déjà plongé dans le rap, au point que cela lui ait valu quelques ennuis. Alors qu’il veut interpréter un morceau sur le Black History Month en classe de seconde, son lycée lui interdit de faire un rappel, entraînant ainsi un boycott des cours par une partie de ses camarades. Cette expérience lui fera prendre conscience de l’impact que peuvent avoir des textes sur la société.

En 1992, stic.man rencontre M1, originaire de Brooklyn, venu du côté de South Beach afin de poursuivre ses études à l’université. Les deux jeunes garçons s’impliquent très vite dans la vie politique et sociale en adhérant à différentes associations et groupuscules engagés. Mais ils comprennent rapidement que la musique peut être un moyen plus direct de véhiculer leurs idées, et se lancent alors en duo dans le rap.

Comme beaucoup d’artistes à l’époque, ils voient New York comme la ville de tous les possibles, où les rêves deviennent réalité, surtout dans l’industrie musicale. Ils partent ainsi s’installer dans la grosse pomme. Ils commencent à travailler sur leurs projets musicaux, inspirés par certains de leurs pairs tels que X-Clan, Rakim, Brand Nubian, mais aussi Mobb Deep ou le Wu-Tang Clan. Cependant, tout ne se passe pas comme prévu, au point qu’M1 et stic.man soient proches de se retrouver à la rue.

C’est alors qu’en 1996, ils rencontrent Lord Jamar. Ce dernier reconnaît le talent des deux jeunes rookies et les aide à intégrer l’industrie musicale en les faisant signer chez Loud Records (label extrêmement important dans les années 90). Le duo Dead Prez fait alors ses premières apparitions dans les années qui suivent : ils signent le titre « Sellin’ DOPE (Drugs Opress People Everyday) » sur la B.O. du film Slam, on les retrouve sur l’interlude « The Rain and The Sun » issue du projet Capital Punishment de Big Pun, puis sur l’album Musical Massacre des Beatnuts, sur le morceau « Look Around ». Peu de temps après suivront les premiers singles de Let’s Get Free, dont le banger « Hip Hop », morceau emprunt d’une influence bass music, témoin de l’origine floridienne de stic.man qui en est le producteur.

Une contestation dans la forme

Le premier album de Dead Prez, intitulé Let’s Get Free, sort le 14 mars 2000 sur Loud. Cet opus s’affiche comme un projet contestataire au premier contact visuel. La cover, qui donne d’emblée le ton, représente des enfants soldats noirs, levant en l’air des armes à feu, symbole de la l’état d’esprit révolutionnaire des deux rappeurs. Une couverture censurée par le biais d’un sticker à la sortie du projet, révélant déjà l’aspect problématique que soulève le duo. Le verso de l’album montre un esclave noir de dos. Sa peau est lacérée de cicatrices de coups de fouets, image choquante et crue, qui exprime bien la dimension afro-centriste du projet.

Le logo du duo de rappeurs a aussi son importance. M1 et stic.man ont choisi comme étendard un diagramme I-Ching (texte divinatoire chinois) qui signifie « leader », mais aussi « armée ». Des termes qui portent en eux les idées qu’ils affichent dans leurs morceaux. En effet, depuis le départ, la musique est un moyen pour eux de faire entendre leurs opinions, mais aussi de guider et d’éduquer l’auditeur.

Explicit lyrics

Musicalement, l’album de Dead Prez n’a rien de très novateur, mais c’est sur le plan lyrical que les deux MCs ont su se démarquer de leurs pairs. Alors que la plupart des artistes usent de nombreuses figures de style pour adresser un discours critique ou élogieux, le duo d’origine floridienne n’hésite pas à être le plus direct possible. Des paroles explicites qui ne souffrent pas d’artifices, mais qui vont au contraire droit à l’essentiel. M1 et stic.man se disent être « somewhere between N.W.A. & P.E. » (Public Enemy). Une position qu’ils résumeront eux-même par le titre de leur second album : Revolutionary But Gangsta.

Un rap politisé et afro-centriste qui montre une violence verbale et physique envers le gouvernement, et les institutions. Dead Prez se dresse avant tout comme des portes-paroles de la population noire aux USA. L’album se divise ainsi en deux parties : Today, qui contient les morceaux les plus virulents et les plus contestataires, et Tomorrow plutôt tourné vers un message d’espoir et de paix.

On trouve donc sur la première moitié des morceaux tels que « Police State », adressé aux forces de l’ordre et à la société de surveillance, mais aussi « They Schools », qui remet en cause les enseignements dispensés par l’école, dans lesquels l’histoire des noirs aux États-Unis n’est que peu prise en compte. Le système carcéral et son fonctionnement sont également pointés du doigt dans « Behind Enemy Lines ». Cette première partie se focalise surtout sur les problèmes sociétaux auxquels de nombreux afro-américains doivent faire face au quotidien.

La seconde partie est une suite logique de Today. Elle annonce un horizon plus radieux, lorsque toutes les déviances critiquées précédemment auront été évincées. On y évoque l’importance de la nutrition saine sur « Be Healthy », une idée très novatrice sur un album de rap pour l’époque. « Mind Sex », la « love song » de l’album, est bien loin des clichés sur le rap et les femmes, privilégiant la beauté intérieur et spirituelle à l’amour charnel.

Les différentes pensées et opinions exprimées dans l’album ont pour vocation d’éveiller les auditeurs à toutes les problématiques abordées. Pour cela, M1 et stic.man usent de nombreuses références à des personnages historiques (Malcolm X, Steve Biko, Huey Newton…), à des faits historiques concernant la ségrégation ou l’esclavage, et également à la culture asiatique (arts martiaux, l’Art de la Guerre…). Ils reprennent même La Ferme des Animaux de George Orwell sur « Animal in Man », pour dénoncer à leur tour le côté bestial de l’être humain.

Quel héritage ?

Let’s Get Free n’est que rarement évoqué lorsqu’on parle des albums les plus importants de l’histoire du rap. Et pourtant, il n’y a pas énormément de projets qui aient aussi bien abordé les problèmes subis par la population noire aux USA. Ce qui rend cet album d’autant plus impactant, c’est son aspect intemporel.

Non pas sur le plan musical, bien que les instrumentaux très mélodieux et les refrains chantés n’aient pas pris une ride, mais sur le plan lyrical. Les deux rappeurs semblaient être en avance sur leur temps, si bien que tous les thèmes abordés par Dead Prez il y a 20 ans sont malheureusement toujours d’actualité.

Le morceau « Mind Sex » évoque entre autres le respect de la femme, sujet qui a pris une grande importance dans les années 2010, puis « Be Healthy » éduque à la nutrition, 20 ans avant la démocratisation du véganisme que nous connaissons actuellement. Cependant, les critiques émises à l’encontre des institutions sont elles aussi toujours à l’ordre du jour et n’ont pas cessé d’être traitées dans le rap depuis. D’autre part, M1 et stic.man ont aussi apporté une grande part d’afro-centrisme et de promotion de la culture noire avec cet album, notamment sur le morceau « I’m An African », bien avant ce qu’a pu faire Kendrick Lamar avec son album To Pimp a Butterfly.

Vingt ans après sa sortie, Let’s Get Free demeure un classique du rap américain de par son contenu subversif et révolutionnaire. Les deux MCs sortiront par la suite d’autres projets en gardant le même cap, mais aucun ne viendra égaler la magnificence de ce premier opus.

Dead Prez – Let’s Get Free

Sébastien Laurent

Voue un culte à MF DOOM. S'intéresse au rap des bas-fonds, celui dont on ne parle pas assez. Un soupçon de technique dans l'écriture et un beat sombre font son bonheur.

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