Il y a 25 ans, Andre ‘Dr. Dre’ Young quittait le label Death Row Records qu’il avait créé avec Suge Knight au tout début des années 90. Une conséquence aux tensions permanentes qui entouraient la structure musicale la plus sulfureuse du rap game et qui ont donc eu raison de la patience et de la passion du doc de Compton. Dans la foulée de ce départ inéluctable, Dre décide alors de lancer immédiatement son propre label avec le bien nommé Aftermath Entertainment (toujours sous la coupe de la major Interscope Records). Un nouveau challenge pour le producteur avec des premières années compliquées, loin des succès habituels. En effet, la compilation Dr. Dre Presents… The Aftermath et le projet collaboratif The Firm sont loin de convaincre le plus grand nombre et, pour la première fois, les critiques prennent le dessus.
La suite, vous la connaissez avec des rencontres déterminantes qui vont changer à jamais l’histoire de Dr. Dre et de l’industrie musicale tout simplement. En s’entourant de musiciens aussi talentueux que complémentaires pour former une team de production redoutable, Dre va redéfinir son style et imposer de nouveaux standards lors du passage dans les années 2000. Premier rappeur à sortir un album solo sur Aftermath, Eminem va incarner à jamais ce renouveau et le véritable point de départ d’une aventure auréolée de succès pour le label avec aujourd’hui un catalogue regroupant un total de 30 projets. Dans l’ordre, Truth Hurts, 50 Cent, The Game, Busta Rhymes, Kendrick Lamar et Anderson .Paak vont venir ensuite ajouter leurs contributions à la discographie de la structure musicale de Dre dont les chiffres de ventes dans le monde s’évaluent à 140 millions, pour l’estimation basse !
Si on ne présente plus les superstars mises en orbite par le label, Aftermath est aussi devenu avec le temps une machine à briser des rêves et des carrières. Le perfectionnisme maladif de Dr. Dre a même parfois causé du tort à des artistes talentueux qui se sont retrouvés pendant plusieurs années coincés dans un attentisme frustrant. Quelque part, dans un coffre bien gardé, doit certainement se trouver plusieurs disques durs remplis de centaines de morceaux qui n’ont jamais été révélés. Parmi ces titres, surement des mois de travail pour des albums annoncés, espérés, repoussés, puis tout simplement annulés.
Dans notre sélection, nous allons revenir sur dix artistes particuliers dont les passages sur Aftermath se sont finalement soldés par des fiascos. Des profils très différents, présentés avec des morceaux qui s’inscrivent dans l’ADN sonore développée par Dre et sa team de production au fil des années. Entre souvenirs et regrets, retour sur 25 ans d’histoire du label.
Premier artiste à quitter Death Row, RBX est également le premier à rejoindre le nouveau label de Dr. Dre. On le retrouve donc logiquement en 1996 sur la compilation Dr. Dre Presents… The Aftermath avec deux participations remarquées. Tout d’abord, sur le fameux posse cut « East Coast/West Coast Killas » aux côtés de Nas, KRS-One et B-Real avec comme volonté de faire redescendre la tension entre les deux scènes dominantes des États-Unis. Puis, en solo, sur ce titre « Blunt Time » produit par Dr. Dre et Stu-B-Doo qui n’est pas sans rappeler certains classics passés du doc. Au fil des années, le peu d’attention portée par Dre à son égard installe quelques tensions entre les deux artistes poussant le rappeur de Long Beach et cousin de Snoop Dogg à s’éloigner définitivement du label. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, son passage sur Aftermath ressemble en définitive comme deux gouttes d’eau à sa situation précédente sur Death Row. Clin d’œil marrant de l’histoire, c’est finalement bien loin d’Aftermath que RBX signe en 2000 une apparition surprise sur le second album d’Eminem avec un featuring sur le morceau « Remember Me? » au titre évocateur. Toute une symbolique pour certainement un titre retrouvé dans les tiroirs d’une période où il était encore signé sur le label de Dre.
Rappeur de Compton respecté par ses pairs, entre 1988 et 1995, King T a sorti quatre albums plus que solides qui poussent donc Dr. Dre à le signer sur son nouveau label fraîchement créé. Découpeur de rimes et véritable référence niveau flow, le MC enregistre un album complet sur Aftermath dont la sortie prévue en 1998 est finalement annulée au dernier moment. Pas vraiment convaincu par un son West Coast qui commence à dater à l’approche de l’an 2000, le doc fait subitement marche arrière. Avec le recul, le nom du premier single officiel « Got It Locked », plutôt très efficace, fût finalement prémonitoire, tout comme cette apparition de Dre dans le clip qui referme la porte de son coffre fort… Le projet en question, intitulé Thy Kingdom Come, sortira sous forme de différents bootlegs incomplets quelques années plus tard, laissant entrevoir un contenu qu’ont aurait pu retrouver sur l’album original.
Arrivée certainement trop tôt sur un label qui cherchait encore sa voie, le passage de Eve sur Aftermath est finalement très bref et prend vite fin en 1998 quand un blondinet de Detroit va s’accaparer toute l’attention de Dr. Dre. Rappeuse au potentiel énorme, la maison mère Interscope Records décide quand même de la garder dans son roster avec une suite beaucoup plus heureuse pour elle sur le label Ruff Ryders Entertainment de Swizz Beatz. Au sein du collectif new-yorkais, elle sort rapidement trois albums à succès marqués notamment par des retrouvailles avec le doc sur des collaborations comme « Let Me Blow Ya Mind » et « Satisfaction ». En 2004, à la surprise générale, elle se laisse tenter par un retour sur le label de Dre avec au final un résultat identique à son aventure précédente, c’est-à-dire sans album à la clé… Un second passage infructueux sur Aftermath qui est également synonyme de gros coup de frein à sa carrière. Pour revenir à sa première signature sur le label à la fin des années 90, « Eve of Destruction » reste l’un des très rares titres de la rappeuse paru lors de cette période. Un morceau produit par un certain Mel-Man et extrait de la soundtrack du film Bulworth.
Pourtant présent sur 10 morceaux de l’album 2001 de Dr. Dre, le rappeur Hittman n’a finalement jamais eu sa chance en solo sur le label Aftermath avec tout simplement aucun single à signaler. La faute encore au succès planétaire d’Eminem qui devient instantanément la véritable poule aux œufs d’or du label et donc la priorité numéro un d’Interscope. Rappeur émérite mais au charisme très limité, Hitt n’incarne donc pas longtemps la nouvelle sensation West Coast recherchée par le doc. Au passage, il se fait même chiper la place par un Xzibit captivant qui réussit (sans signer sur le label Aftermath) à obtenir Dr. Dre comme producteur exécutif sur deux de ses albums. De son côté, Hittman quitte ensuite le label par la petite porte, emportant avec lui quelques collaborations précieuses comme ce « Get Myne » qui respire à plein nez la bonne vieille alchimie entre Mel-Man et Dr. Dre.
Découverte en 1995 sur le premier album de Montell Jordan avec le titre « Introducing Shaunta », c’est également aux côtés du duo Timbaland & Magoo sur le remix du morceau « Luv 2 Luv U » que Shaunta se signale dans ces années 90. Après une signature stérile sur Atlantic Records, elle atterrit finalement sur Aftermath pour rejoindre un autre natif de Compton avec Dr. Dre. Contrairement à The Game et Kendrick Lamar, elle n’a jamais vraiment eu sa chance et son passage sur le label du doc se résume donc à seulement trois titres révélés sur les soundtracks des films The Wash et 8 Mile. Si « Good Lovin » concocté par Hi-Tek et « Benefit of the Doubt » en duo avec Truth Hurts et produit par Mel-Man sont tout aussi bons, c’est plutôt ce « California » que nous avons décidé de mettre en avant. Un morceau redoutable signé Mahogany Music (également responsable de la prod du single « Bad Intentions » de Dre) qui nous présente tout le talent de l’artiste de C-P-T. Un joli souvenir West Coast dicté par cette ligne de basse enivrante qui plane au-dessus de ce titre comme le soleil plombant de la Californie. Cherchant sa Missy Elliott, Dre laisse partir une rappeuse talentueuse, tout comme Eve, dont la carrière ne décollera finalement jamais contrairement à la First Lady de Ruff Ryders.
Si la signature de Rakim sur le label de Dr. Dre fût l’effet d’une bombe dans l’industrie, le mariage entre le God MC et le producteur à succès n’a jamais fonctionné. Les différentes incompatibilités artistiques étant trop nombreuses, les deux artistes se rendent vite compte que l’album Oh, My God annoncé en grand pompe par Dr. Dre ne verra jamais le jour… De 2000 à 2002, très peu de morceaux du MC New-Yorkais ont filtré et seulement deux featuring sont à signaler : « Addictive » de Truth Hurts et « The Watcher 2 » de Jay-Z. Pour trouver trace d’un titre solo de Rakim lors de cette période, il faut se rediriger une nouvelle fois vers la soundtrack du film 8 Mile avec ce fameux « R.A.K.I.M. ». Un véritable banger signé Mr. Porter qui nous donne une idée assez précise du type de son vers lequel voulait l’orienter Dr. Dre. Finalement, en 2002, Dre trouve en 50 Cent un client plus à même pour rentrer dans le moule gangsta tant désiré par le producteur. Dans la même période, Rakim quitte Aftermath pour préparer son troisième et dernier album solo qui verra le jour seulement en 2009.
Tout comme 50 Cent, le rappeur d’Atlanta Stat Quo se retrouve signé à la fois sur Aftermath et le label Shady Records d’Eminem. Une pression hors-norme pour un artiste dont la localisation dans le sud semblait au départ un atout, dans un rap game dominé alors par le Dirty South, mais qui va petit à petit se transformer en contrainte et incompréhension culturelle pour Em et Dre. Plusieurs singles sont lancés, dont le sudiste « Like Dat », pour préparer la sortie du tant attendu album Statlanta, mais aucun ne convainc la major Interscope d’enclencher l’étape suivante. Songwriter hors pair, Stat Quo fait preuve d’une patience admirable et profite enfin en 2007 de la compilation The Re-Up du label Shady Records pour placer quelques morceaux marquants. Dans le lot, ce puissant « Get Low » concocté par Dr. Dre et Dawaun Parker qui donne un aperçu de ce qu’aurait pu donner l’association du docteur avec le MC d’ATL. Il quitte Shady Records et Aftermath en 2008 après quasiment 6 années dans la salle d’attente…
Après The Game dont le premier album fut l’effet d’une bombe mais dont l’embrouille avec 50 Cent l’écarte définitivement du label Aftermath, Bishop Lamont devait lui aussi incarner un certain renouveau de la scène West Coast. Signé officiellement sur Aftermath en 2006, le rappeur de Carson possédait toutes les qualités recherchées par Dr. Dre et confirme rapidement son énorme potentiel avec des mixtapes comme Nigger Noize, Pope Mobile et The Confessional. Des sorties sur lesquels il est entouré constamment de la team de production de Dre avec des pointures comme DJ Khalil, Focus, Scott Storch, Nottz, Jake One, Mark Batson et autres Dawaun Parker. Avec le recul, sur ces différentes tapes, il y avait certainement de quoi construire un album plus que solide mais le doc de Compton n’a jamais réussi à trouver un single déclencheur et accrocheur pour lancer la carrière de son protégé. Et si dans la même période sa marque de casque audio Beats By Dr. Dre s’impose de façon impressionnante sur le marché, son intérêt pour Bishop s’éteint lui petit à petit au fil des années pour finalement libérer Lamont de son contrat en 2010. Parmi les dizaines de bangers sortis par Bishop durant son passage sur Aftermath, ce « Send A Nigga Home » produit par Khalil incarne parfaitement le style si efficace du MC.
Découverte au sein du duo Floetry aux côtés de Natalie Stewart, les deux albums du groupe font mouche auprès d’un public fan de voix soul. Séduit par le style d’une Marsha Ambrosius convaincante aux refrains notamment, Dr. Dre se rapproche de la chanteuse pour lui proposer plusieurs collaborations sur ses productions, parmi lesquelles on retrouve des titres comme « Start from Scratch » de The Game, « Get You Some » et « Cocaina » de Busta Rhymes ou « Hustlers » de Nas. Durant cette période, la chanteuse est signée sur Aftermath et en profite pour sortir deux mixtapes. La première, Neo Soul is Dead, est un projet sur lequel Marsha pose uniquement sur des productions de Dre de l’ère Death Row (avec une pochette inspirée par celle de The Chronic). La suivante, Yours Truly, est plus ambitieuse et produite intégralement par l’un des producteurs maison d’Aftermath, Focus. C’est sur cette dernière tape que se trouve le morceau « R.I.P. (It’s Over) » avec une Marsha qui survole tout simplement ce titre. Par la suite, pour sortir son premier album solo, la chanteuse comprend vite qu’elle doit quitter Aftermath, ce qu’elle va faire en 2009. Pour autant, cela ne va pas l’empêcher de continuer à travailler avec Dr. Dre puisqu’on la retrouve sur 4 morceaux du projet Compton paru en 2015.
Dans la foulée de la signature de Kendrick Lamar sur Aftermath, Dr. Dre décide de parier également en 2013 sur Jon Connor, un rappeur originaire de Flint qui vient de sortir un excellent projet intitulé Unconscious State. Présenté par Xzibit, le MC possède tous les atouts pour séduire le producteur de Compton mais dans un rap game en perpétuel évolution, il devient rapidement difficile d’imaginer qu’il puisse imiter Kendrick. En six années passées sur le label, son CV sur Aftermath se résume finalement à deux seules petites apparitions sur le projet Compton de Dre, sur les morceaux « One Shot One Kill » et « For The Love of Money ». Dans un élan désespéré, en 2018, Dr. Dre publie sur sa chaîne YouTube le titre « I’M BACK » de Jon Connor censé teaser le futur album Vehicle City du rappeur de Flint. Si la prestation du MC est à la hauteur de l’évènement, dans la forme ce morceau est juste un freestyle qui empreinte l’instru du « Wake Me Up » de Remy Ma et Lil’ Kim. Un manque d’ambition flagrant, sans production inédite du camp Aftermath, qui sera finalement le dernier titre de Jon sur le label avant de le quitter officiellement quelques mois plus tard.
Au moment de conclure cet article, sans l’avoir fait exprès, on peut noter que certains titres de morceaux n’auront pas forcément porté chance aux artistes mentionnés précédemment : « Got It Locked », « Eve of Destruction », « Get Low », « Send A Nigga Home », « R.I.P. (It’s Over) » et « I’M BACK ». À tel point que l’on peut même se demander s’il n’y a pas une sorte de malédiction Aftermath… Les prochaines signatures du label sont prévenues.
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