Si pour vous le rap latino ne vous évoque qu’un lointain souvenir de Cypress Hill, Kid Frost ou du formidable album reggaeton de N.O.R.E, cette sélection totalement subjective est l’occasion parfaite de découvrir ce qu’il s’y fait de mieux de nos jours lorsque l’on parle de rap.
Comme partout ailleurs, la trap squatte le haut des charts en Amérique latine depuis maintenant quelques années. L’arrivée tonitruante de personnages haut en couleur comme Bad Bunny, Anuel AA voire même de Cardi B sur le devant de la scène, a été un facteur majeur pour que le public tende de nouveau l’oreille vers cette région du globe. Ce regain d’intérêt s’accompagne également d’une productivité bouillonnante de la part de la scène urbano (éventail qui regroupe les musiques urbaines latines : rap, reggaeton, dancehall…), bien plus riche en tubes redoutables taillés pour cartonner qu’en albums de qualité. Le concept d’album étant tout simplement inexistant chez la plupart des artistes urbano, tant la dictature du single et du remix règne en maître.
Mais si ce territoire a beaucoup plus eu l’habitude d’entendre résonner le dembow que le rap, l’héritage culturelle et musicale très prospère de ces pays donne naissance à des singularités et des fusions passionnantes. De la furie du baile funk brésilien à la résistance du boom-bap colombien sans oublier la trap hardcore et émo argentine, voici notre sélection rap 100% América Latina, à déguster, au choix, un bon maté en main ou avec une caïpirinha bien frappée.
Basée depuis trois ans à L.A. mais née à Monterrey, Carla Reyna est la première rappeuse lesbienne à s’être imposée dans la scène rap mexicaine, dominée en très grande partie par des hommes. Cette fervente défenseure de la cause queer a eu du fil à retordre étant plus jeune pour s’affirmer telle qu’elle est. Tout d’abord auprès de sa famille conservatrice lorsqu’elle fît son coming-out à 15 ans, puis quelques années plus tard pour se faire une place dans la sphère rap underground et surtout machiste de sa ville natale. Mais Niña Dioz (surnom qu’une vieille femme de son quartier lui a donné enfant car elle ressemblait au Christ d’après elle) n’a jamais reculé devant les obstacles et a toujours su déjouer les idées préconçues concernant la place des femmes dans le rap. Avec son assurance inébranlable, celle qui se qualifie de « Queer as fuck » et de « Latina as fuck » impressionne de par son flow acerbe débité dans la décontraction la plus totale. Reyna, son second et dernier album à l’heure actuelle a été distribué via l’historique label de la culture latine basé à Los Angeles, Nacional Records. Elle rejoint ainsi le catalogue de l’écurie qui a faire connaitre aux États-Unis une de ses plus grandes inspirations : la rappeuse franco-chilienne Ana Tijoux.
Autres rappeurs mexicains à suivre : Robot, Eptos Uno, Astrid Cruz
Telmary doit probablement avoir Jay-Z pour idole au vu de son parcours à la longévité remarquable et remarquée. Présente au sein de la scène musicale de La Havane depuis la fin des années 90, Telmary Diaz a tout d’abord fait partie des groupes Free Hole Negros et Interactivo avec lesquels elle a collaboré avec des icônes de la musique cubaine comme Isaac Delgado ou encore Los Van Van. Ce n’est qu’en 2007 qu’elle décide de prendre les rênes en main et de faire carrière en solo avec la sortie de son premier album A Diario. Très ancrée dans la tradition musicale cubaine, elle se permet aussi de s’en éloigner, ou plutôt de l’enrichir avec des productions tirant le meilleur du boom-bap, de la funk et du jazz. Pour Telmary, le rap est la meilleure tribune qui soit pour partager un message d’empowerment et de positivité, peu importe si l’on est étranger à la langue : « Ce n’est pas important que le public comprenne les paroles, ou parle espagnol. Ce qui est important, c’est qu’ils ressentent l’énergie qui émane et découvrent les racines de la musique cubaine », explique-t-elle. Après avoir parcouru les scènes européennes, sud-américaines et japonaises durant de nombreuses années, la rappeuse qui se destinait a une carrière de journaliste a publié son cinquième opus l’an dernier, le très poétique et chaleureux Fuerza Arará.
Autres rappeurs cubains à suivre : Al2 El Aldeano, Orishas, Barbaro El Urbano Vargas
De par son parcours atypique, Eladio Carrión fait office d’exception au sein de la scène urbano. Il grandit aux États-Unis où il fut contraint de suivre son père militaire entre le Kansas, Baltimore, et l’Alaska, avant de finalement s’installer à Porto Rico lorsqu’il est âgé de 10 ans. Une fois sur la terre mère, il se prend de passion pour la natation les dix années suivantes de sa vie allant jusqu’à se qualifier pour les J.O. de 2012. Malheureusement, il déchante rapidement lorsqu’il subit les affres de la corruption porto-ricaine, en ne se voyant pas retenu pour l’événement, le président de la Fédération lui préférant le fils d’un ami à la place. Suite à cette déconvenue écœurante, son intérêt pour le sport s’amenuise mais pas la discipline acquise, qu’il réemploie pour se mettre à la musique. Au même moment où sa carrière musicale décolle, il devient un phénomène sur la plateforme Vine notamment grâce à ses parodies de rappeurs, qui deviennent virales. De ses imitations humoristiques, Eladio a engrangé des compétences qui l’ont poussé à développer son propre style et de devenir ainsi un rappeur à part entière. Aujourd’hui, l’artiste qui a souvent souffert du manque de reconnaissance dans son pays, (Eladio s’est exilé quelques mois en Argentine car le public porto-ricain n’était absolument pas réceptif à ses bangers trap lors de ses débuts) grimpe tranquillement les échelons du succès avec ses hymnes reggaeton et sa trap mélodieuse, tout en s’entourant de la fine fleur national dont l’inévitable Bad Bunny.
Autres rappeurs porto-ricains à suivre : Jon Z, Residente, Omy de Oro
La musique de Nakury est nourri par son amour de l’âge d’or de la culture hip-hop. Tour à tour journaliste, graffeuse, breakdanceuse et bien entendu rappeuse, l’activiste costaricaine s’engage pour faire connaitre ses divers disciplines par le biais de conférences et d’ateliers. Elle est notamment la fondatrice d’Union Break et fait partie du trio pluri-national Somos Guerreras, deux collectifs qui promeuvent les fondements de la culture double H en Amérique centrale. Lorsqu’elle se retrouve derrière le micro, Nakury reste toujours dans cet esprit d’engagement, avec ses textes où il en grande partie question de la place de la femme dans cette zone remplie de contrastes qu’est l’Amérique latine. Sur des instrus boom-bap modernes, les thématiques sociales, philosophiques mais aussi surnaturelles irriguent son oeuvre qui compte à l’heure actuelle une mixtape publiée en 2014, Rima que Ilumina, et son premier album Via qui remonte quant à lui à 2017. Son prochain album est d’ores et déjà annoncé pour 2020, il devrait s’intituler très sobrement O et est conçu en collaboration avec le DJ et producteur de San José, Barzo.
Autres rappeurs costaricains à suivre : Nezumi Gab, Perromop, Crypy
Jefferson Mora, plus connu sous le nom de Trainer ou encore de « Piña Fresca », fait partie de la nouvelle garde vénézuélienne au côté de Big Soto, Episteme ou encore Lecon, qui a rapidement ancré la trap comme bande sonore de leur génération. C’est en 2013 que le jeune Trainer, alors âgé de 17 ans, débarque dans la scène rap avec Episteme en proposant une version espagnole du brutal « Hard In Da Paint » de Wacka Flocka Flame. S’ensuit une ascension maîtrisée pour notre protagoniste et ses acolytes. Entouré de cette même équipe qui porte maintenant le nom de « Eleuce« , Trainer a établi son propre écosystème autosuffisant, chaque membre mettant au profit du collectif ses compétences (réalisation, graphisme, production…) tout en menant respectivement une carrière solo. Avec une flopée de singles remuants à son compteur et des concerts donnés un peu partout en Amérique hispanophone, le rappeur à la coupe en forme d’ananas (d’où son surnom « Piña Fresca ») s’est établi une solide réputation. Fondamentalement trap mais pas insensible à d’autres univers, Mora nous montre dernièrement un visage plus lumineux et décomplexé lorsqu’il s’essaye au reggaeton sur un titre comme « Tu Piel » ou au R&B sur le soulful et charmant « Muchos Creen », ci-dessus.
Autres rappeurs vénézuéliens à suivre : Neutro Shorty, Micro TDH, Apache, Mestiza
Composé du trio de MC’s Anyone/Cualkiera, Sison Beats et DJ Kario One, No Rules Clan fait régner sa réputation « d’escadron du boom-bap » depuis 2012 et leur premier album Rap Nativo. Ce dernier est unanimement considéré comme un album majeur du hip hop paisa, nom que l’on donne aux habitants de Medellín et dont NRS est originaire. Le groupe aura mit sept longues années avant d’accoucher d’un nouvel album en commun, suite à différents conflits internes qui ont fait avorter la conception du second opus initialement intitulé Alboom Bap. Ce stand-by aura eu le bénéfice de les laisser simplement vivre mais également de les voir développer leurs envies musicales chacun de leur côté, avant de se retrouver tous ensemble. Pantone, c’est donc le titre de ce second album tant attendu qu’a dévoilé cette année No Rules Clan. Ils y répondent aux détracteurs et autres fans laissés sur le carreau, par leur meilleure sélection de beats boom-bap à la patine nostalgique mais jamais poussiéreuse. L’oreille tourné vers le passé mais le coeur rempli de passion, NSR prouve que l’on peut encore très bien faire un album dans la pure tradition East Coast de nos jours, loin s’en faut.
Autres rappeurs colombiens à suivre : Crudo Means Raw, Ruzto, Métricas Frías
Sans aucun doute l’artiste le plus connu de cette sélection, Alejandro Salazar aka A.Chal acquiert depuis 2016 une certaine notoriété grâce à son style ténébreux à la frontière du rap et du r’n’b, interprété aussi bien en anglais que dans la langue de Cervantes. Après avoir vécu les cinq premières années de sa vie au Pérou, Alejandro a dû suivre ses parents lorsqu’ils se sont installés dans le quartier de Nas, le Queens. De cet exil, il en garde un souvenir assez amer mais qui a aussi permis de façonner l’artiste qu’il est aujourd’hui : « J’étais vraiment perdu en quittant le Pérou et en déménageant aux États-Unis. À 5 ans, je suis allé dans au moins 6 écoles différentes. Ils se moquaient de la nourriture que j’apportais et de la façon dont je parlais […] Cela m’a permis de rester humble, ouvert d’esprit et concentré », se remémore-t-il. Ainsi, A .Chal n’a jamais oublié d’où il venait et cela se manifeste dans sa musique. Du reggaeton aux légères percussions de congas, les influences latines s’infusent avec une élégance naturelle dans des titres comme « 000000 » ou « Perdóname« . Véritable séducteur dans l’âme, A.Chal avoue faire de la musique pour le plaisir de ses dames et qualifie même son style en tant que « Big sexy », rien que ça. Ce grand admirateur de Prince mais aussi du pionnier de la salsa Willie Colón (avec lequel il rêverait de collaborer) estime que tout ce qu’il réalise se doit d’être sexy d’une façon ou d’une autre. Ce qu’il a réussi haut la main sur son ultime projet en date, l’EP Exotigaz, qui nous a replongé en pleine torpeur estivale lors de sa sortie l’hiver dernier.
Autres rappeurs péruviens à suivre : Gonzalez Genek, Giru Mad Fleiva, Santiago Insane
Le rap de Rincon Sapiência est à l’image de son nom d’artiste. Il allie l’élan flamboyant qui faisait le style de son icône, le célèbre footballeur colombien Freddy Rincon (dont il rend hommage) avec la subtilité de la poésie en choisissant ‘Sapiência’ (sagesse en portugais) comme patronyme. Très attaché à ses racines afro-brésiliennes, le MC originaire de São Paulo, Danilo Alberto Ambrosio de son vrai nom, a pris pour habitude de se présenter sous le titre de Manicongo en guise d’introduction de ses morceaux. Par cette appellation, il considère de ses propres mots que « l’avenir de la culture du MCing dépend de lui », en faisant référence au nom que l’on donnait aux souverains politiques des peuples kongos, les Manikongos. Présent sur la scène hip-hop auriverde depuis plus de dix ans maintenant, le talent de Rincon aura mis du temps pour mûrir pleinement et exploser comme il se doit. Fin 2016, il marque les esprits des amateurs de rap lusophone au fer rouge avec son titre classique « Ponta de Lança« , et récidive l’année suivante avec la sortie de son second opus Galanga Livre, où toute sa virtuosité éclate enfin au grand jour. Depuis, Rincon poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin allant de collaborations alléchantes (les hitmakers du baile funk Tropkillaz, la dame nº1 du rap brésilien Karol Conka…) en prestations solo démentes, dont son récent passage chez Colors en est l’illustration la plus criante.
Autres rappeurs brésiliens à suivre : Gabz, Karol Conka, Heavy Baile
Si l’Argentine est le royaume incontestable de la trap en Amérique latine, Cazzu en est probablement la souveraine. La prénommée Julieta Cazzucheli s’est faite connaitre dans un premier temps en partageant la scène avec Bad Bunny l’an dernier (et plus particulièrement pour un baiser échangé qui aura fait couler son flot d’encre), puis dans un second temps en tirant son épingle du jeu avec son excellent couplet sur le remix de « Pa Mí » de l’américano-portoricain Dalex. Bien que le succès ne fait que lui ouvrir ses portes, cela fait bientôt plus de dix ans que Cazzu forge son univers dans le milieu underground. Ce marathon lui a permis de donner naissance aujourd’hui à une synthèse inédite de trap et de reggaeton couvert d’une esthétique emo, où la sensibilité de sa voix fine cohabite parfaitement, au choix, sur du dembow ou bien des 808 massives. L’aspiration profonde de Cazzu est de ne jamais cesser de s’aventurer en territoire inconnu, de laisser libre court à ses envies comme elle l’a rapporté pour Billboard : « Je n’arrête jamais d’expérimenter. L’idée est de continuer d’explorer d’autres genres et d’être la première à le faire ». Sur son premier album Error 93 sortit au début de l’été, l’expérimentation n’est pas aussi frappante qu’elle peut le décrire mais sa manière de s’approprier des genres très codifiés est elle unique et rafraîchissante.
Autres rappeurs argentins à suivre : Duki, Neo Pistea, WOS
Ce n’est pas un hasard si Catalina Cornejo a choisi le célèbre sabre japonais pour nom de scène. Longtemps ignorée au sein d’une scène rap où les hommes sont omniprésents, Catalina ne passe désormais plus inaperçue grâce à son flow aussi acéré et insicif que la lame du samouraï. La native de Cerro Navia, zone périphérique de la capitale chilienne, Santiago, s’est faite une réputation de guerrière avec la sortie de sa première mixtape Qween C l’été 2018 et en se produisant aux quatre coins du pays. Sur ces sept titres d’une durée totale de 24 minutes, la reine du katana exprime le fond de sa pensée sur la condition de la femme au Chili sans détour. Catana s’impose avec sa force tranquille et une versatilité assez impressionnante comme exemple pour toutes les rappeuses chiliennes des générations à venir. En effet, elle explique dans plusieurs entretiens donnés pour des médias nationaux qu’elle se bat pour donner plus de visibilité aux femmes dans le rap, et qu’elles ne sont pas obligées de calquer leurs flows sur ceux de leurs homologues masculin pour s’y faire une place. En découpant ses couplets sur divers genres de beats, qu’il s’agisse de trap, de boom-bap remis au goût du jour ou encore de grime, Catana ne s’interdit rien et fait ce que bon lui semble, pour le plus grand bien du rap latino-américain.
Autres rappeurs chiliens à suivre : Mamborap, Motafonkas, Pablo Chill-E
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