10 rappeurs européens à découvrir cet été
Tout au long de l’été, BACKPACKERZ vous propose de découvrir ce qu’il se fait de mieux en rap dans les différentes régions du monde. On commence avec l’Europe.
Avant de s’envoler pour l’Afrique et plus tard l’Amérique latine, notre première expédition rapologique estivale pose ses valises sur notre bon vieux continent, l’Europe. On le sait tous désormais, le rap est le genre musical numéro un en France et ne cesse d’exploser les records sur les plateformes de streaming, mais qu’en est-il du reste de l’Europe ? D’ailleurs, à quoi ressemble-t-il chez nos voisins ?
Pour répondre à cette dernière question, nous avons sillonné les nations européennes à la recherche de talents en tout genre de la galaxie rap. En résulte cette sélection qui condense nos coups de cœur, entre poids lourds et jeunes pousses des quatre coins du continent. Mais avant d’embarquer, quelques conditions ont tout de même été respectées. La parité est évidemment de mise parmi nos dix têtes d’affiches, et histoire que le dépaysement soit total, vous ne retrouverez pas une once de rap francophone, ni anglophone dans ce florilège. Maintenant que toutes les informations ont été communiquées pour passer un agréable vol, il ne vous reste plus qu’à vous imprégner de chaque culture dans ce voyage qui s’étendra de la péninsule ibérique à la Scandinavie, en passant par le littoral méditerranéen, sans oublier quelques escales en Europe de l’est. Bon voyage !
C. Tangana
Espagne – 28 ans
Actif au sein de la scène rap espagnole depuis 2006 avec le collectif Agorazein, ce n’est que depuis 2016 que le madrilène Antón Álvarez Alfaro attire toute l’attention qu’il mérite. Après une collaboration fusionnelle avec Rosalía cette année-là, alors à ses tout débuts, et deux albums s’inscrivant dans la mouvance, très en vogue, de la trap latine en 2017 et 2018 ; C. Tangana nous gratifie depuis plusieurs mois de morceaux singuliers montrant toute l’étendue de ses influences. Ainsi, il n’en finit pas de jouer à l’insaisissable. Dans une optique de globalisation et entre deux bangers, il a livré un tube au dembow endiablé (bien aidé par l’américano-mexicaine Becky G sur « Booty »), a exprimé toute sa fureur sur le baile funk mutant de « Pa’ Llamar Tu Atención » lors d’une connexion Espagne-Brésil avec MC Bin Laden, et est même allé sur le terrain de la musique cubaine avec « Para Repartir », une salsa ténébreuse légèrement saupoudrée de basses frénétiques.
Autres rappeurs espagnols à suivre : DELLAFUENTE, Yung Beef, Nathy Peluso
Blaya
Portugal – 32 ans
Karla Rodrigues, de son vrai nom, ramène le turbulent baile funk de l’autre côté de l’Atlantique. Cette luso-brésilienne a été formée comme MC et danseuse dans le survolté groupe de kuduro lisboète, Buraka Som Sistema, avec lequel elle a connu un succès international, allant jusqu’à se produire sur la scène de Coachella en 2009. Opérant désormais en solo, Blaya propose aujourd’hui une musique qu’elle qualifie d’« euro favela funk », un amalgame de ses influences formant un pont musical entre le Brésil et le Portugal mais puisant également dans les sonorités africaines. Le tamborzão, ce rythme au groove tropical qui bat au cœur des favelas auriverde, restant sa seule signature récurrente. Sur son premier album, Blaya Con Dios, elle adoucit la funk carioca au contact de la pop, du R&B, de la samba mais aussi de la trap pour un résultat résolument stimulant et coloré. Son tube « Faz Gostoso » et ses quelques 33 millions de vues à même fait l’objet d’une reprise (ou plutôt d’un massacre) sur le dernier album de Madonna, au côté de la figure de proue du funk à la brésilienne, Anitta.
Autres rappeurs portugais à suivre : Plutónio, Piruka, Lhast
Izi
Italie – 24 ans
Avec la superstar nationale Sfera Ebbasta, Izi est l’un des fiers représentants de la trap fabbricato in Italia. Originaire de la région de Gênes, Diego Germini a commencé à écrire ses premiers textes à l’âge de 17 ans, juste après avoir arrêté les cours et quitté le domicile familial pour se dédier entièrement au rap. Après quelques années d’errements et de galères, les choses s’accélèrent enfin pour lui à partir de 2016. Il fait ses premières armes en rejoignant le crew génois Wild Bandana, aux côtés d’autres rappeurs montants tel que Tenua et Vaz Tè. La même année, il décroche son premier rôle au cinéma avec le film à forte teneur autobiographique, Zeta, où il incarne un jeune rappeur en quête de reconnaissance. En véritable fan de rap français et notamment de Booba, Lacrim ou encore SCH, Izi a déjà franchi la frontière pour s’allier avec un rappeur de l’hexagone, en l’occurrence le parisien Coyote Jo Bastard sur le morceau « ROCKSTAR ». Son troisième album studio, Aletheia, sorti en mai dernier et sur lequel on retrouve l’intense « Fumo Da Solo », est un véritable carton puisqu’il est déjà disque d’or chez nos voisins transalpin.
Autres rappeurs italiens à suivre : Capo Plaza, Ghali, Priestess
Ledri Vula
Albanie – 32 ans
D’origine kosovar, Ledri Vula aka Ledrizlla est sans conteste le porte étendard du rap albanais et probablement de toute la péninsule des Balkans. Les scores mirobolants comptabilisés sur la majorité de ses clips prouvent que la langue n’est, en aucun cas, une barrière insurmontable pour rencontrer le succès en dehors de ses frontières. Ledri a débuté sa carrière musicale au carrefour des années 2010 avec un duo nommé Skillz, mais c’est désormais seul qu’il poursuit son chemin et sa notoriété ne cesse de s’étendre jusqu’à rencontrer un rayonnement international. En effet, c’est un proche de deux artistes de renom aux racines kosovares et albaniennes, Rita Ora et le chanteur new-yorkais GASHI, avec lequel il a posé un couplet en début d’année sur le titre au fort potentiel tubesque « That’s Mine ». Pas encore de projet long à l’horizon pour le rappeur star des réseaux sociaux, mais son trio de singles aux refrains capiteux lâchés ces derniers temps devrait nous sustenter pour un bon moment.
Autres rappeurs albanais à suivre : Melinda Ademi, Ghetto Geasy, Capital T
Saske
Grèce – 21 ans
Benjamin de notre sélection, Odysseas Ntzimanis est un jeune rappeur athénien plus connu sous le nom de Saske, et dont la maturité artistique force déjà le respect et l’admiration. Membre fondateur d’OffBeat Records (un roster rap particulièrement populaire en Grèce), Saske offre une musique au style abrupt bien que diversifiée, où aucun détail n’est laissé au hasard. De ses interprétations habitées à l’esthétique sans fioriture et toujours impeccable de ses clips, il démontre une riche palette d’atmosphères avec seulement une poignée de morceaux à son actif. À l’instar de l’un de ses plus gros succès, « Ksero Mana », son flow navigue principalement sur des instrus trap viscérales n’ayant rien à envier à celles des ses homologues américains. En avril dernier, Saske a dévoilé le titre trois en un, « N.ST.C.TO. » (pour Nobody Stabilizes Consciousness Totally) qui annonce la sortie imminente de son premier projet répondant au nom de Saskepticism Vol. 1.
Autres rappeurs grecs à suivre : Toquel, SNIK, Efta
Subcarpați
Roumanie
Groupe à l’effectif variable, Subcarpați est une formation mêlant hip hop et musique folklorique roumaine initiée par MC Bean en 2010. Faire du neuf avec de l’ancien, tel est le fer de lance du collectif de Bucarest. En faisant rencontrer instruments traditionnels roumain comme le caval (flûte typique des Balkans) et style de production dans l’air du temps, Subcarpați fait revivre l’identité musicale nationale tout en y intégrant les codes actuels du rap. Ainsi, ils réinterprètent les motifs caractéristiques de la musique ancestrale roumaine pour un nouveau public, la mélancolie de celle-ci se fondant à merveille sur des beats denses taillés sur mesure, comme l’illustre « Dă-i Foale » issu de leur dernier projet Zori și Asfințit. Selon MC Dean, »la musique de Subcarpați s’adresse à l’homme moderne, prisonnier des grandes villes, forcé de couper tous ses liens avec la nature et les traditions ». Dans cette idée de reconnexion à l’essentiel et à ses origines, il ajoute également : « Notre musique sert à ce que nous, Roumains, sachions d’où nous venons en tant que peuple ».
Autres rappeurs roumains à suivre : Macanache, Grasu XXL, Killa Fonic
Emelevskaya
Russie – 28 ans
Habituée des battles rap de St-Pétersbourg, Lema Emelevskaya a participé pendant huit ans à ces événements avant d’envisager gagner sa vie grâce au rap. Par le biais de son collectif de battle, “Мамин подруGun” [“Mama’s girlfriend”], la rappeuse a rencontré des noms importants de la scène hip hop russe tels qu’ Harry Topor et Jubilee, lui permettant de transformer ce qui n’était qu’un simple amusement au départ en une véritable carrière d’artiste. Pour Emelevskaya, le rap est avant tout un moyen de donner de la voix aux femmes, de « parler de nos problèmes sans que cela ne sonne stupide », explique-t-elle. Une nécessité fondamentale à ses yeux, d’autant plus en Russie, où la place de la femme et la liberté d’expression est sujet de discorde au vue de l’hypocrisie latente qui y règne. Sur son premier projet sorti en 2018, Kipyatok, on ressent la forte volonté d’en découdre d’Emelevskaya sur les huit titres qui le composent. Sa fureur contenue s’exprime sur des instrus nerveuses et lancinantes, prouvant qu’il ne faut pas la réduire à son joli minois, chose à laquelle on s’est trop souvent arrêté dans son pays jusqu’ici.
Autre rappeurs russes à suivre : Haski, PHARAOH, IC3PEAK
Juju
Allemagne – 26 ans
Bercée au gangsta rap germanique depuis l’enfance, Judith Wessendorf alias Juju débute dans le rap par un concours de circonstances au début de la décennie. Ce qui n’était qu’un simple passe temps pour cette jeune fille élevée seule par sa mère marocaine, prend une toute autre tournure lorsqu’elle rencontre la rappeuse berlinoise Nura en 2014. Ensemble, elles forment le duo SXTN et rencontrent un énorme succès outre-Rhin notamment avec leur hit et hymne à la fête « Von Party zu Party ». L’année dernière, elles ont décidé de mettre un terme à cette aventure pour se concentrer chacune sur leur carrière solo. Juju a très bien négocié ce virage de parcours puisqu’elle a sorti son premier album, Bling Bling, en juin dernier. Contrairement à ce que son titre laisse présager, son projet n’est en rien basé sur le paraître et l’ostentatoire. Comme l’expose son « Intro », son rap est sans temps mort et frappe fort même s’il ne se refuse pas quelques escapades mélodiques plus aimables.
Autres rappeurs allemands à suivre : Fler,Loredana, Luciano
Lauwtje
Pays-Bas – 26 ans
Un an. C’est le très court laps de temps qu’il aura fallu à Lauwtje pour passer de MC anonyme à figure montante du rap néerlandais. Née sous le nom de Shannon Sarijoen à Rotterdam, la rappeuse d’origine surinamienne friande de trap et de dancehall, impose son style brut à la vitesse grand V à coups de bangers retentissants. Avec son producteur attitré et acolyte des premiers jours, Esko, elle développe une empreinte sonore qui alterne parfaitement entre turn up et rythmiques caribéennes fiévreuses à la manière d’une Stefflon Don. Lauws, son premier projet d’une durée express de 22 minutes paru cette année, déroule cette redoutable recette comme un rouleau compresseur, bien servi par sa verve charismatique qui corse un peu plus l’addition. Son ascension remarquée l’a déjà amenée à collaborer avec des pointures du rap hollandais comme Josylvio mais aussi Young Ellens, dont l’excellent « Litty » est le fruit de cette alliance.
Autres rappeurs hollandais à suivre : Frenna, Djaga Djaga, Woenzelaar
Silvana Imam
Suède – 32 ans
Dans une Suède en pleine montée de l’extrême droite, Silvana Imam, rappeuse et militante d’origine lituanienne et syrienne, est la voix progressiste qui s’attaque au fascisme avec panache. Depuis 2013 et son premier album baptisé Rekviem, Silvana dézingue la bien-pensance avec son rap engagé auprès des causes queers et féministes. Sa propre perspective de femme, fille d’immigrés et lesbienne a fini par faire d’elle la porte parole d’un rap labellisé « politique et conscient ». Celle qui se considère comme la Van Gogh, la Liberace ou encore la Tarantino du rap, n’en a que faire de s’attirer les foudres de ses détracteurs, elle exprime son point de vue tranché coûte que coûte : « Je fais comprendre aux gens à quel point le monde est foutu à travers mon art ». Devenue une star dans la patrie de Bergman, la rappeuse a même été portée à l’écran dans le documentaire sobrement intitulé Silvana, dressant le portrait de cette artiste radicale et iconoclaste sur fond de critique acerbe de la société suédoise. Concernant sa musique, elle vient de dévoiler cette année son troisième album, Helig Moder, dans lequel on retrouve notamment un feat très surprenant avec 070 Shake et le puissant single « Vikken Då ».