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10 morceaux Hip-Hop qui samplent de la musique Classique

Il y a quelques semaines, sur ce même site, a été publié un dossier retraçant la rencontre fascinante entre le Hip-Hop et la musique classique. Deux mondes que visiblement tout oppose, et pourtant leur mélange a souvent donné des moments marquants dans l’histoire du Rap ! Aujourd’hui, on ne compte plus les titres mémorables qui sont allés puiser leurs inspirations dans le catalogue du Classique.

Pour compléter ce dossier, rien de mieux qu’une sélection minutieuse pour prolonger cette thématique. A travers dix morceaux, aussi bien US que français, nous vous proposons donc de découvrir ou revivre des prestations emblématiques de ce mariage réussi.

Mobb Deep – « Snitched On »

Sortie : 2001, produit par Havoc

Sample : « Lettre à Élise » (1810) de Ludwig van Beethoven

Comment ne pas débuter par le sample de musique classique par excellence, la « Lettre à Élise » de Ludwig van Beethoven. Cette pièce musicale apparaît pour la première fois en 1995 sur un morceau du groupe The Dayton Family. Mais ce sample est utilisé de façon plus reconnaissable sur un disque promotionnel de Mobb Deep qui contenait trois titres, dont « Snitched On ». La mélodie, qui reprend les premières notes très connues de la « Lettre à Élise », est utilisée de manière plus lente que sur « I Can » de Nas (le gros succès sur lequel on reconnait bien la composition de Beethoven). Le sample est aussi beaucoup plus long, ce qui donne un aspect plus mélodique à l’ensemble du titre, et colle parfaitement avec l’ambiance sombre et mélancolique des morceaux de Havoc et Prodigy.

Connu par tous les apprentis pianistes, la « Lettre à Élise » de Beethoven est une mélodie assez simple que les producteurs et beatmakers se sont amusés à modifier et à découper. L’exemple qui illustre le mieux ce travail de découpage du sample se trouve sur « Everything is Heltah Skeltah » du groupe Heltah Skeltah. La mélodie apparaît une première fois au début de morceau, et selon son rythme original, puis elle est ensuite découpée et ré-assemblée pour créer un nouveau rythme. Cette technique particulière du sampling (qui travaille avec des éléments isolés) considère le morceau original comme une matière première composée d’éléments rythmiques (et parfois vocaux) que l’on peut arranger à sa guise. Cette pratique rend les samples parfois difficiles à identifier, ce qui laisse planer le doute sur la provenance des échantillons et permet d’éviter parfois les procédures coûteuses de clearance aux artistes.

Nas – « Hate Me Now »

Sortie : 1999, produit par les Trackmasters, D Moet & Pretty Boy

Sample : « O Fortuna », Carmina Burana (1937) de Carl Orff

Parmi tous les grands opéras composés, aucun n’a la popularité de Carmina Burana dans le monde du Hip-Hop. C’est l’un des samples qui a été le plus utilisé dans l’histoire de ce style musical, on le retrouve en effet sur une vingtaine de morceaux. Mais c’est lors de sa première utilisation qu’il connait son plus grand succès grâce aux producteurs du morceau « Hate Me Now » interprété par Nas et Puff Daddy. La profusion d’instruments et de sonorités marquent immédiatement l’auditeur. C’est là tout le charme de cette composition : pas moins de seize percussions différentes, deux pianos, des dizaines d’autres instruments, trois solistes principaux et autant de chœurs variés.

Le sample annonce la couleur et colle parfaitement à l’ère du bling-bling vers laquelle se tourne une grande partie du rap US à la fin des années 90. L’avènement de superstars, comme Nas et Puff Daddy, marque un tournant dans l’histoire du Hip-Hop. Les thèmes dominants des années 90 s’effacent petit à petit et laissent place à l’argent et aux grosses voitures. Les productions sont chargées, et c’est dans ce contexte que l’utilisation de la musique de Carl Orff fait son apparition. Carmina Burana sera sa seule œuvre utilisée par les artistes Hip-Hop. On retrouvera ce sample dans d’autres morceaux du même esprit comme « Get’Em Girls » de Cam’ron ou plus récemment sur « On The Regular » de Meek Mill.

Outkast – « Ms. Jackson »

Sortie : 2000, produit par Earthtone III

Sample : « Bridal Chorus », Lohengrin (1850) de Richard Wagner

Ce n’est peut-être pas le premier morceau auquel on pense lorsque l’on parle de sample de musique classique, mais c’est celui qui a connu le plus gros succès à travers le hit qui l’a utilisé. Second single de l’album référence du duo Outkast, il est aujourd’hui certifié disque d’or aux États-Unis ou en France, et même Platine au Royaume-Uni, le tout sans clip. Dans ce morceau, le trio Earthtone III (Mr. DJ, Andre 3000 et Big Boi) reprend la mélodie du « Chant de la Mariée » de l’opéra Lohengrin de Richard Wagner. Cette musique jouée à l’orgue a largement été utilisée lors de mariages occidentaux pour l’arrivée de la mariée. Le trio modifie alors le tempo, tord la mélodie, change la sonorité, ajoute quelques scratchs, si bien que la boucle utilisée sur « Ms. Jackson » est bien différente de la composition originale de Wagner. Au-delà de la performance technique, l’utilisation de ce sample revêt une signification bien particulière lorsque l’on connait l’histoire de ce hit. Ce titre, qui traite des ruptures amoureuses, est en réalité un message adressé à Erykah Badu, l’ex compagne d’Andre 3000. On comprend alors toute l’ironie derrière ce sample.

Coolio – « C U When U Get There »

Sortie : 1997, produit par Dominic “DJ Romeo” Aldridge

Sample : « Canon en ré majeur sur une basse obstinée » (v. 1680) de Johann Pachelbel

C’est probablement le sample le plus ancien de l’histoire du Hip-Hop. « Le Canon de Pachelbel » a été composé à Nuremberg vers la fin du XVIIe siècle et constitue la principale œuvre connue de son compositeur Johann Pachelbel. À l’époque, Louis XIV régnait sur la France et les États-Unis étaient encore des colonies britanniques… Bref, ce sample nous vient de loin, de très loin. Il faudra attendre la seconde moitié du XXe siècle pour réentendre cette mélodie sur des morceaux rock, mais c’est surtout à partir des années 90 que le « Canon de Pachelbel » commence à être largement samplé dans divers styles musicaux. On le retrouve notamment sur le hit « C U When U Get There » de Coolio.

La composition de Johann Pachelbel est ce que l’on appelle une musique de chambre qui se caractérise par un petit ensemble de cordes, bois, cuivres ou percussions ainsi que quelques voix (ici trois violons). La mélodie est donc assez légère et vive, mais les violons donnent aussi un caractère très majestueux à l’ensemble qui nous projette directement dans un décor digne de Barry Lyndon. On est bien loin du New-York des années 90 ! Le sample apparaît d’abord de façon brute ce qui nous plonge directement dans cet univers romanesque. Puis, un effet sonore semblable à un vinyle en rotation qu’on arrête brutalement vient stopper cette introduction pour débuter le morceau. Le sample est alors ajouté à une production plus riche avec quelques percussions en plus pour donner du rythme à l’ensemble du titre.

EPMD – « K.I.M. »

Sortie : 1997, produit par Erick Sermon

Sample : « Symphonie no. 40 en sol mineur » (1788) de Wolfgang Amadeus Mozart

L’année 1997 est pour plusieurs raisons une année charnière dans la rencontre entre le Hip-Hop et la musique classique. Elle marque notamment l’apparition de Wolfgang Amadeus Mozart dans la liste des compositeurs ayant été samplé par le Hip-Hop. Avant 1997, aucun artiste rap n’avait utilisé la musique de Mozart. Et c’est l’une de ses plus célèbres symphonies qui a intéressé les beatmakers de l’époque : la Symphonie n°40, composée en 1788, trois ans avant la mort du génie autrichien. Œuvre classique comptant parmi les plus connues, cette symphonie frappe par son univers tragique. La boucle du titre « K.I.M. » ne suit pas parfaitement la composition originale, elle se coupe un peu avant la fin de la dernière note. Le rythme apparaît donc saccadé et crée un réel effet de boucle très répétitif. On retrouvera également la « Symphonie n°40 » sur « Even If It Kills Me » de Chino XL, mais sur ce morceau, on entendra plutôt les quelques notes percutantes de piano que les grands airs des violons de « K.I.M. ». Preuve que les œuvres classiques sont d’une richesse incomparable et que les possibilités sont infinies en termes de sampling.

Tech N9ne – « Lacrimosa »

Sortie : 2015, produit par Seven

Sample : « Requiem en ré mineur » (1791) de Wolfgang Amadeus Mozart

Tech N9ne a écrit « Lacrimosa » quelques mois après le décès de sa mère. Cette chanson lui permet donc d’exprimer la tristesse de sa perte et son rapport à Dieu. En latin, lacrimosa signifie celui « qui pleure » et c’est aussi un poème que l’on retrouve dans toutes les messes de requiem et qui fait partie du mouvement « Dies Irae ». Seven, le producteur, a interpolé la mélodie des chants du « Requiem » de Mozart en faisant chanter le refrain du morceau par un chœur sur le même air. Il reprend aussi des éléments instrumentaux pour retranscrire l’ambiance originale du requiem. « Lacrimosa » est le dernier titre en date qui sample le « Requiem » de Mozart. Le premier vient de France et plus précisément des New African Poets, groupe dont faisait partie Abd Al-Malik. Sur le morceau en question, « La Fin du Monde » sorti en 1998, ce sont aussi les voix qui sont principalement samplées.

Busdriver – « Imaginary Places »

Sortie : 2002, produit par Paris Zax

Sample : « Ouverture no. 2 en si mineur : Badinerie » (1738) de Johann Sebastian Bach

La prouesse technique ne vient pas toujours du producteur qui arrive à intégrer parfaitement la musique classique sur son morceau. Elle peut parfois venir des artistes eux-mêmes. « Imaginary Places » de Busdriver en est le parfait exemple avec ce sample de Bach. Certains d’entre vous connaissent ce titre via le jeu vidéo Tony Hawk’s Underground, d’autres le découvriront ici. Véritable duel entre le flûtiste et le rappeur dont on ne saurait donner un vainqueur, « Imaginary Places » démontre toute la virtuosité des deux styles musicaux, chacun dans leur registre. Face à la technique du flûtiste, le rappeur suit le rythme et débite à une vitesse folle ses rimes. Mais Busdriver n’en restera pas là. En 2009, il remet le couvert sur le morceau « Me-Time » en suivant le rythme effréné imposé par la boucle de piano de la « Marche Turque » de Mozart.

Suprême NTM – « That’s My People »

Sortie : 1998, produit par Sully Sefil

Sample : « Prelude, op. 28, no. 4 en mi mineur » (1835-1839) de Frédéric Chopin

Allons maintenant faire un tour du côté de notre vieille France, et comment ne pas citer de ce titre très connu et dont on a beaucoup entendu parler pour son sample. Pourtant, il n’y a pas forcément besoin de parfaitement boucler parfaitement un échantillon sonore pour avoir une instru admirable. Parfois, les petites imperfections donnent un charme particulier à la composition, d’autant plus si c’est Joeystarr qui rappe dessus ! C’est justement le cas de la production de Sully Sefil. Le principal intéressé racontera plus tard que le beat n’était pas destiné à NTM et qu’il n’était même pas encore fini quand Kool Shen l’a écouté pour la première fois. Le rappeur a tout de suite accroché et a décidé de poser un texte qu’il avait déjà écrit. Quelques scratchs sont rajoutés par-dessus et le sample est intégré tel quel sur l’album éponyme du duo parisien. Le morceau connait un petit succès, surtout depuis que l’on connait l’origine du sample : un prélude de Frédéric Chopin.

Lino – « Wolfgang »

Sortie : 2015, produit par Stan-E Music

Sample : « Requiem » (1890) de Antonín Dvořák

Sur son dernier album solo en date Requiem, Lino multiplie les références à la musique classique. D’abord dans le titre, qui pose d’emblée l’ambiance sombre de cet opus, puis dans les noms de certains morceaux. On retrouve également cette influence dans les sonorités des productions, avec l’utilisation du piano, de l’orgue, des cloches et des violons.  Même si le titre « Wolfgang » fait référence à Mozart et à son œuvre, la prod est composée d’un sample du « Requiem » de Antonin Dvorak, composé en 1890. S’agit-il d’une erreur du beatmaker ou bien d’un choix délibéré de ne pas choisir le requiem composé par Mozart, le secret reste entier. Les requiems sont tous très similaires car il s’agit en réalité de messes religieuses que l’on jouait lors d’un enterrement ou d’une cérémonie de souvenir. Mozart, Verdi ou encore Dvorak en ont écrit un et ceux-ci s’organisent quasiment tous selon la même structure. C’est principalement le thème de Dies Irae (« Jour de colère » en latin) qui est samplé pour son ambiance apocalyptique.

Jedi Mind Tricks – « Outlive The War »

Sortie : 2006, produit par Stoupe

Sample : « La Traviata » (1853) de Giuseppe Verdi

Pour finir, comment ne pas parler du duo underground Jedi Mind Tricks (Vinnie Paz & Stoupe), véritable aficionado de la musique classique. Une dizaine de leurs morceaux samplent ce style musical. Mais le sample qui ressort du lot est celui utilisé sur « Outlive The War », morceau qui apparaît sur leur troisième album Servants in Heaven, Kings in Hell sorti en 2006. Le projet, produit bien évidemment par le beatmaker Stoupe, compte deux autres samples de musique classique. La particularité de « La Traviata » de Giuseppe Verdi se trouve dans l’agencement des instruments et des voix qui suivent parfaitement le même rythme pour ne former qu’un seul ensemble cohérent. Le refrain, assuré par Block McCloud, suivra également le même rythme en s’accordant avec les éléments forts de la mélodie et des voix. Cette façon de rapper, en suivant le rythme du sample, a déjà été entendue sur des titres présentés ici comme « Hate Me Now » ou « Imaginary Places ». Le sample utilisé sur « Outlive The War » est donc assez long. Cela donne une plus grande richesse à la production par rapport à un motif plus court qui donnerait un effet répétitif. Il est aussi rallongé avec une variation des voix toutes les huit ou douze mesures.


Ce top est une contribution libre de Rémi Boullier que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

La Rédac

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