BACKPACKERZ

Si vous êtes abonnés à notre playlist R&B Diamondz, vous savez déjà que le genre continue de se renouveler sans jamais renier son héritage (certains rappeurs pourraient d’ailleurs en prendre de la graine…). Derrière un improbable trio de tête constitué de Khalid (qui n’en finit plus de truster les charts), Lizzo (qui repousse encore plus loin l’équation R&B + rap = pop) et Ella Mai (qui pourrait très bien remporter le prochain Grammy du meilleur album R&B alors même qu’elle n’a rien sorti en 2019 !), les douze derniers mois ont apporté leur lot de révélations. La plus incontestable d’entre elles est évidemment Summer Walker. Si elle n’a pas connu le succès commercial de sa consœur tatouée, Ari Lennox a elle aussi livré un debut album confirmant tout son potentiel et le bien qu’on pensait d’elle. À tel point que la Première Dame de l’écurie Dreamville s’octroie la plus haute marche de notre classement.

Un classement qui nous emmène majoritairement aux États-Unis (comment pourrait-il en être autrement !), mais aussi au Canada (ToBi et Shay Lia), en Malaisie (Yuna) et même en Angleterre, au Nigéria et en France si on inclut nos mentions honorables. Un signe que le R&B est florissant aux quatre coins de la planète. Un classement où ne figurent pas Kehlani, H.E.R., Anderson .Paak, Solange, Gallant, Doja Cat, Lucky Daye, Jordan Rakei, Snoh Aalegra, Chris Brown, BJ The Chicago Kid, Daniel Caesar, Jacquees, Raphael Saadiq et on en passe, alors qu’ils ont pourtant tous à leur crédit d’excellents projets cette année. Preuve que la qualité fut au rendez-vous en 2019 et que notre top risque de faire débat. Mais c’est ce qui donne son charme à l’exercice, n’est-ce pas ?

10. Shay Lia – Dangerous (Deluxe)

Sortie : 19 novembre 2019

On avait un peu trop tendance à réduire Shay Lia à une petite voix sympathique qui venait parfaire le travail de producteurs talentueux tels que Kaytranada, Stwo, Sango ou Badbadnotgood. C’est donc avec la ferme intention de se faire un nom à part entière qu’elle s’est lancée dans son premier projet solo. Et pour ce faire, quoi de mieux que de couper en partie le cordon avec son mentor Kaytranada. Tout à fait logiquement elle décide donc de collaborer avec une multitude de producteurs qui apportent leur patte sans pour autant dénaturer la cohérence de l’EP. Et c’est bien là toute la force de Dangerous ! Il faut dire que la demoiselle aime être partie prenante du processus de création en donnant des indications très précises sur la mélodie, le rythme, les sonorités qu’elle souhaite retrouver dans chaque morceau. Elle relève donc haut la main le défi qu’elle s’était lancée, en nous proposant un opus à son image : authentique et envoûtant. – Christophe

9. Yuna – Rouge

Sortie : 12 juillet 2019

Star en Malaisie depuis une dizaine d’années, Yuna a connu son premier véritable succès international en 2016 grâce au slow jam « Crush » en duo avec Usher. Rouge vient asseoir ce nouveau statut. Fruit de deux ans de maturation, l’album fusionne brillamment des accents pop, nu soul et disco-funk pour proposer un R&B résolument moderne, tout en jouant la carte du vintage nostalgique, disséminant ça et là craquements de vinyle et autres effets sonores lo-fi. Vocalement, si elle évolue surtout dans un registre chaud et doux, la chanteuse fait apprécier sa tessiture aussi bien sur des ballades que sur des rythmes uptempo. Les featurings donnent parfois l’impression d’avoir été choisis moins par réelle alchimie artistique que par souci de réunir un supporting cast trendy (Tyler, the Creator, Little Simz, Kyle, Masego, Jay Park, MIYAVI), tant certains se contentent d’assurer le minimum syndical (G-Eazy, on te voit !). Mais nul doute qu’ils contribuent à ouvrir davantage encore les portes de la reconnaissance globale à laquelle Yuna aspire. Elle n’en oublie par pour autant ses racines, ce que semble rappeler le morceau final, très beau quiet storm mélancolique interprété en malaisien. Drapée comme une égérie Chanel sur la pochette du disque, Yuna porte une couronne de feuilles dorées par-dessus son hijab : peut-être la meilleure alliance pour symboliser l’empowerment qu’elle souhaite subtilement véhiculer dans sa musique, passionnée et déterminée. R&B GAME SERVANTE ÉCARLATE. – Julien

8. Xavier Omär & Sango – Moments Spent Loving You

Sortie : 25 octobre 2019

Après avoir fait des merveilles sur leur première mixtape en commun, Hours Spend Loving You en 2016, l’un des plus beau duo du R&B contemporain se réforme. Et quelles retrouvailles ! Suite logique, Moments Spend Loving You capte de nouveaux sommets d’alchimie entre le chanteur de San Antonio et le producteur de Seattle. On y retrouve de très belles réminiscences de l’âge d’or du R&B 90’s tout en se montrant en phase avec son époque. Ce que les premières pistes nous font bien comprendre d’entrée de jeu. C’est plus particulièrement le cas sur « Struck », fusion démentielle entre les vocalises versatiles du crooner et l’attrait bien connu du beatmaker de la team Soulection pour les rythmes baile funk. Si une fois n’est pas coutumes, les productions signées par ce dernier sont globalement exquises, il faut surtout souligner les interprétations de très haute volée que nous réservent ici le trop discret et mésestimé Xavier Omär. – Simon

7. Zacari – Run Wild Run Free

Sortie : 15 mars 2019

Découvert grâce à une prestation couronnée de succès sur “LOVE.” de Kendrick Lamar, Zacari, dernière signature de TDE, se devait de transformer l’essai. C’est ce qu’il réussit à faire avec le relativement passé inaperçu Run Wild Run Free. Cet EP de sept titres laisse entrevoir en 21 minutes un avenir brillant pour le chanteur californien. Si les raisons du succès de ce projet sont multiples, elles ne sont pas à chercher au niveau de sa plume, assez fade dans l’ensemble, mais plutôt au niveau des grooves, mélodies et refrains imparables qui remplissent ce Run Wild Run Free. Si « Midas Touch » est dans la droite lignée de “LOVE.”, des morceaux comme “Young & Invincible” (avec Lil Yachty), « Lone Wolf », ou encore l’éponyme et magistral “Run Wild Run Free”, permettent à l’intéressé de dérouler ce timbre de voix chantant, qui fait office d’instrument à part entière, tant il pourrait se suffire à lui-même. Une réussite que l’on espère annonciatrice de plus grandes choses encore. – Basqui

6. Summer Walker – Over It

Sortie : 4 octobre 2019

Le premier album studio de Summer Walker est un véritable carton commercial. Avec 134 000 équivalents ventes et 155 000 000 streams audios sur sa première semaine, Over It place la jeune femme au niveau d’une certaine Beyoncé … Certains évoqueront le remix de « Girls Need Love » en featuring avec Drake pour expliquer cette soudaine notoriété. Mais le véritable facteur X de ce succès est la prise en main de la production exécutive de l’opus par son boyfriend London On Da Track. Car si le hitmaker ne s’essaie au R&B que depuis quelques mois, il semble déjà avoir trouvé la bonne formule. En apportant une touche de modernité au son si intimiste de sa belle, l’alchimie opère pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Croisons les doigts pour que la volonté de miss Walker de tout plaquer à l’issue de son First and Last Tour ne soit que l’expression d’un vague à l’âme momentané… – Christophe

5. TOBi – STILL

Sortie : 3 mai 2019

Avec la sortie de son premier album STILL, TOBi fait clairement partie des grosses révélations de l’année 2019. Tant du point de vue de ses textes que de ses choix artistiques, le canadien y démontre une maturité assez bluffante. Capable d’entremêler chant et rap avec la plus grande virtuosité, le jeune homme navigue entre ses influences pour porter le cap sur une musique hybride qui retrace son cheminement personnel. Le thème principal de l’album est justement celui du passage à l’âge adulte. En lisant ses interviews, on comprend vite que derrière cette idée il est surtout question de vulnérabilité. Il estime en effet que cette dernière est trop souvent perçue comme une faiblesse que l’on refoule en grandissant, au lieu de l’assumer et ainsi mieux pouvoir la gérer. Cette analyse se ressent dans ce projet qu’il investit comme un journal intime, partageant ainsi l’effet salutaire de l’exercice avec son auditoire. – Christophe

4. SiR – Chasing Summer

Sortie : 30 août 2019

Le crooner aux dreadlocks du clan TDE revient moins de deux ans après son cotonneux premier opus November et prend cette fois-ci un tournant plus sombre et tourmenté sur Chasing Summer. En effet, si la recette est pourtant a peu de choses près la même que sur son premier disque estampillé sur le label californien, la teneur est quant à elle toute autre. SiR se fait beaucoup plus virulent dans son écriture, voire n’hésite pas à se montrer très rude et bourru comme c’est la cas sur “That’s Why I Love You”, morceau particulièrement ambigu en compagnie de la charmante Sabrina Claudio dans lequel il déclame : “I just fuck you and leave”. Le chanteur, digne héritier de l’ère néo soul, nous dévoile ainsi une facette plus amer de sa personnalité, sur des instrumentations aux grooves lents et cuivrés qui fleurent bon son quartier d’Inglewood. Morose mais probablement plus honnête avec lui même, SiR souffle le chaud et le froid et s’en tire avec les honneurs. – Simon

3. Mereba – The Jungle Is The Only Way Out

Sortie : 27 février 2019

Peut-on faire du R&B « conscient » (désolé pour le gros mot !) sans sacrifier la fluidité musicale sur l’autel de l’ambition conceptuelle ? C’est le pari réussi de Mereba qui évite ici parfaitement l’écueil des élucubrations arty. Mieux, après deux EPs assez confidentiels en 2013 et 2017, la dryade d’Atlanta aux origines éthiopiennes, désormais chez Interscope, signe avec The Jungle Is The Only Way Out un album majeur de cette fin de décennie. Elle y rayonne d’une sensualité mystérieuse, envoûtante, et laisse éclater tout son talent de songwriter. Elle module sa voix suave et apaisante entre chant, spoken word et même rap. Son R&B crépusculaire s’enracine au plus profond de la culture afro-américaine du Sud des États-Unis et entrelace nombre d’influences (blues, folk, country) et de thèmes (l’amour, l’oppression, policière notamment, l’adversité, l’ombre bienveillante des ancêtres, la famille au sens large, la résilience, l’élévation). On croise dans cette forêt luxuriante quelques rares kodama : 9th Wonder à la prod hypnotique de « Black Truck », ainsi que deux de ses collègues du collectif Spillage Village, 6LACK et J.I.D, sur « Heatwave » et « Sandstorm » respectivement. Jamais Mereba ne perd son fil d’Ariane pour nous guider de la moiteur des marécages jusqu’à l’éther par-delà la canopée. Symboliquement, le titre renvoie à la nécessité de plonger au coeur des ténèbres, traverser les vicissitudes de l’existence pour mieux s’en affranchir, dépasser les rancœurs pour toucher à une forme de plénitude. Le voyage est initiatique, presque spirituel, renforcé par la puissance évocatrice des clips accompagnant l’album. Labyrinthe vert, fierté noire, une nouvelle reine de Saba est née. – Julien

2. Jamila Woods – Legacy! Legacy!

Sortie : 10 mai 2019

Pour son second album, la chanteuse de Chicago proche de Chance the Rapper et de Saba convoque l’héritage d’artistes de couleur sur chacun de ses douze titres à la beauté déchirante. De Betty Davis à Basquiat en passant inévitablement par l’écrivain James Baldwin, Jamila Woods s’inspire des figures majeures d’hier et d’aujourd’hui de la « Black Excellence » -mais pas que- pour propager dans notre présent chaotique, un message d’acceptation et de fierté à sa communauté. Ses textes forts sont habillés par des productions R&B on ne peut plus modernes, aux kicks incisifs et massifs puisant tout de même leurs fondements dans le jazz, la soul, le gospel et bien évidemment dans le hip hop. Habité par un regard socio-politique autant que poétique d’une grande lucidité, Legacy! Legacy! est avant tout un album profondément humain et humaniste qui a tout pour devenir ce chef d’oeuvre d’une intelligence rare sur la résilience. – Simon

1. Ari Lennox – Shea Butter Baby

Sortie : 7 mai 2019

On parle souvent de « premier effort » pour désigner le premier album d’un artiste. Dans le cas d’Ari Lennox, les cinq années de préparation nécessaires à Shea Butter Baby donnent tout son sens à l’utilisation de cette expression. Ce temps de gestation, incommensurable avec les standards actuels, lui aura surtout permis d’arriver à maturation avec une véritable proposition artistique toute en émotion. Tant dans ses prestations que dans les thèmes abordés, la First Lady de la team Dreamville brille par sa simplicité. La vibe Nu Soul de l’opus, habilement mixée aux beats Hip Hop maison, nous rappelle les grandes heures des Soulquarians où il était avant tout question de feeling et de groove. On en prend donc plein les oreilles avec une musicalité folle et variée tout au long des douze titres du projet. Espérons que la petite protégée de J. Cole continue sur sa lancée et nous propose un sophomore album dans un délai un peu plus raisonnable. – Christophe

On a aussi aimé : Love And Compromise de Mahalia, High Highs To Low Lows de Lolo Zouaï, HAN de Berhana, Lucid de Raveena, New Breed de Dawn Richard, Cosmic Wind de Lion Babe,  Ama, who? de Ama Lou, Gemini de Tay Iwar ou encore Boucle d’Enchantée Julia.