10 choses que vous ignorez sur ‘Do the Right Thing’ de Spike Lee

10 choses que vous ignorez sur ‘Do the Right Thing’ de Spike Lee

Alors que nous fêterons ses 27 ans dans quelques jours, Do the Right Thing reste l’un des films les plus associés au mouvement Hip-Hop, comme Clockers et He Got Game. Et à eux trois, ils ont construit la réputation de cinéaste de Spike Lee, même si ses films ont eu une large palette de sujets et de mises en scène. Mais son quatrième long-métrage, Do the Right Thing, reste l’un des plus puissants : sous des atours inoffensifs, il fait surgir la théorie politique du block, et fait connaître le cinéaste à l’international.

Le générique de Do the Right Thing fait penser à celui du film que votre soeur ou amie avait de grandes chances de kiffer si vous avez aujourd’hui plus de 30 ans : Footloose. Mais les mouvements de la danseuse du générique Rosie Perez sur le « Fight the Power » de Public Enemy ne sont évidemment pas ceux du rock ou du disco.

Si la chanson de Public Enemy ouvre le film en même temps que ses premières images, c’est bien parce qu’elle en est indissociable. Spike Lee, signait là son quatrième long-métrage, et le commence presque comme une comédie musicale romantique. Mais la danse et la façon dont elle est filmée change totalement la donne : Perez a des visages, coiffures et tenues différentes au long du générique, elle est filmée dans des plans larges comme rapprochés. Son visage est expressif, tantôt tourné vers une sorte de colère ou de détermination, tantôt vers un abandon plus habituel à la pratique de la danse sur une musique atonale. Et puis, Perez apparaît vite chaussée des gants d’un boxeur : le pouvoir — pas vraiment défini pour le moment — se combat aussi bien à coup d’idées que de poings.

Malgré ses couleurs pétantes et ses rues vivantes, Do the Right Thing est un huis clos, une sorte de théâtre de rue où les attitudes et caractères sont volontiers exagérés. On ne sortira jamais de Brooklyn, quartier Bedford Stuyvesant, on y tournera en rond sur un court laps de temps pour y croiser Mookie, jeune Noir livreur de pizza, son employeur Sal et ses garçons Pino et Vito, Buggin’Out, le Zulu Kid énervé ou Radio Raheem et son ghetto blaster qui diffuse en boucle « Fight the Power ». Sous la chape d’un soleil de plomb, temps à émeutes, ces individus aux caractères encore plus trempés par la sueur sont prêts à s’écharpe.

Car malgré des scènes plus ou moins anodines qui se succèdent autour des différents personnages croisés dans ces rues de Brooklyn, Do the Right Thing reste un film de tensions, où les dialogues et les affrontements peuvent facilement basculer du simple “diss”, insultes lancées pour le jeu, à l’affrontement physique, au meurtre ou à l’émeute. Parce qu’il y a des tensions ethniques, bien sûr, que Spike Lee n’occulte jamais, entre les Afros-Américains, les Italos-Américains, les Sino-Américains, que l’on appelle comme cela pour les différencier des Américains. Mais aussi la défense de son espace, de ses biens, de sa culture, parce que personne ne le fait pour vous dans le block.

Quel est ce pouvoir contre lequel il faut se battre, comme l’intime la chanson de Public Enemy ? On pense d’abord à la répression de la police, mais elle apparaît assez dépassée, et finalement proche des habitants du quartier. Non, ce pouvoir est indistinct, même s’il plane, et même un personnage « conscient » comme Buggin’Out ne sait pas vraiment ce contre quoi il faut lutter : l’absence de portraits de Noirs sur le mur des célébrités de la pizzeria, ou le Blanc qui salit sa paire de Jordan ? Ces deux faits semblent susciter la même colère en lui, et Spike Lee n’hésite pas à moquer les traits de caractères de ses personnages, leurs comportements, leurs contradictions.

do the right thing buggin out

S’il rend hommage au rap dans Do The Right Thing, Spike Lee le fait en l’associant à l’un des personnages les plus pacifiques qui soient, Radio Raheem. En écoutant sa chanson qui intime de combattre le pouvoir, ce porteur de ghetto blaster fait sa révolution silencieuse, d’une manière bruyante. Il le place aussi dans la lignée des musiques noires, en faisant déclamer les noms des génies du jazz, du blues et de la soul par le DJ de la radio locale.

Il y a enfin cette question, lancinante, qui traverse tout le film de Spike Lee et une bonne partie de l’histoire des Afro-Américains : qui suivre, de Martin Luther King et Malcolm X ? L’action politique non-violente et donc potentiellement consensuelle de l’un ou le recours à la violence et donc le risque de l’ostracisation et de la répression pour l’autre ? Une question qui n’est par ailleurs pas exclusive à lutte afro-américaine pour les droits civiques, mais s’étend aussi chez nous (l’évolution de Frantz Fanon et Les Damnés de la Terre à Touche pas à mon pote !, avec les frustrations qui ont suivies) et chez tous les opprimés d’un système ou d’un pouvoir politique. Car un combat contre le pouvoir ne s’arrête jamais.

10 choses que vous ignorez sur Do the Right Thing

1. Do the Right Thing a été tourné dans le quartier de Bedford–Stuyvesant, à Brooklyn, mais n’y cherchez pas la pizzeria de Sal ou le magasin coréen, intégralement construits pour les besoins du film.

2. L’équipe du film a tenu à employer un maximum d’habitants de ce quartier très pauvre et miné par le trafic de crack. Par ailleurs, des visites ont été organisées dans les écoles pour présenter le travail d’une équipe de cinéma. Une block party a également été organisée par l’équipe du film, qui a ensuite donné le maximum de matériau issu des décors aux habitants qui le désiraient, à la fin du tournage.

3. Si l’action de Do the Right Thing se déroule sur un peu plus de 24 heures seulement, le tournage a duré près de deux mois, entre juillet et septembre. Le responsable des décors, Wynn Thomas, tenait en plus à n’utiliser que la lumière naturelle : le tour de force n’en est que plus grand.

4. Pour assurer la sécurité de leur équipe, Spike Lee et son coproducteur et ami Monty Ross ne pouvaient pas compter sur la police : sa présence n’aurait fait qu’accentuer les tensions avec la population. Monty Ross fit alors appel aux Fruit of Islam, les vigiles en costard et noeud pap’ de la Nation of Islam, organisation politique et musulmane américaine.

5. La société de production de Spike Lee et Monty Ross, 40 acres and a mule, fait référence à la promesse faite par le General Sherman aux esclaves et descendants d’esclaves de Géorgie après la Guerre civile : ils recevraient en guise de « dédommagement » 16 hectares et une mule. Promesse révoquée par le président Andrew Johnson quelques années plus tard.

6. « Fight the Power », probablement la chanson la plus connue de Public Enemy, est une véritable commande de Spike Lee pour la bande originale de Do the Right Thing. Sauf que Lee et la production du film souhaitaient qu’un producteur de leur choix, Raymond Jones, se charge du beat. Heureusement, The Bomb Squad, le groupe de producteurs lié à Public Enemy, fut finalement choisi. En retour de ce son inoubliable, Spike Lee réalisera une version du clip de « Fight the Power ».

https://www.youtube.com/watch?v=n5JflYF9z0M

7. Do the Right Thing est une pure fiction, mais les faits qu’il relate ont évidemment une résonance particulière : le 20 décembre 1986, Michael Griffith meurt renversé par une voiture alors qu’il fuit un groupe de jeunes Blancs qui venaient de l’agresser, lui et ses amis, alors qu’ils cherchaient de l’aide après une panne de voiture. Le film est  par ailleurs dédié à Michael Stewart et Eleanor Bumpers, victimes des forces de police de New York.

8. Si le personnage de Buggin’Out s’en prend à Sal et à sa pizzeria parce qu’ils ne sont pas suffisamment redevables aux Afro-Américains qui viennent manger chez lui, l’acteur Giancarlo Esposito, qui jouera des années plus tard le glaçant Gus de Breaking Bad, est lui-même italien par son père.

9. Le 17 juillet 2014, le new-yorkais Eric Garner meurt par strangulation alors qu’il est interpellé par la police pour vente illégale de cigarettes. L’agent de police responsable de sa mort utilise une technique d’étranglement pourtant illégale depuis 1993 pour le maîtriser… Spike Lee met alors en parallèle son décès avec celui que l’on peut voir dans Do the Right Thing… Glaçant. 

10. L’expression « Do the Right Thing » est tirée d’une phrase de Malcolm X, « You’ve got to do the right thing », qui évoquait justement le dilemme de la violence politique. La pensée de Malcolm X influencera tellement Spike Lee qu’il réalisera le biopic du leader politique quelques années plus tard.