10 artistes rap féminines à écouter

10 artistes rap féminines à écouter

Le rap est souvent perçu comme un genre musical vulgaire, viril et misogyne, en contraste total avec l’image stéréotypée des femmes, qui devraient être douces et polies selon les normes sociales. Ces idées préconçues nuisent depuis longtemps à la progression du rap féminin. De plus, les succès éclatant de Diam’s en France ou de Nicki Minaj aux US à l’époque, ont éclipsé d’autres rappeuses, rendant encore plus difficile leur émergence dans ce milieu.

Cependant, comme le souligne Benjamine Weill (autrice « À qui profite le sale ? Sexisme, capitalisme et racisme dans le rap français »), « je ne dirais pas qu’elles (les rappeuses) soient si peu écoutées, c’est qu’elles sont mal représentées. » En effet, malgré un manque de visibilité médiatique et une faible programmation, les rappeuses existent bel et bien et trouvent leur public. Chez Backpackerz, de nombreuses artistes féminines figurent dans nos playlists, et aujourd’hui, nous vous en présentons dix qui méritent toute votre attention (5 artistes francophones et 5 artistes anglophones).

Asinine

Repérée en 2022 avec son premier EP C’est les autres, Asinine n’a eu de cesse, depuis, d’affirmer sa proposition artistique, entrelacs de lyrics désenchantés et de productions oniriques. Le dernier exemple en date de ce brillant alliage s’appelle Brûler la maison. Dévoilé le 29 avril, ce projet de six titres est un théâtre expérimental dans lequel l’artiste du sud de la France continue de s’épancher sur ses tortueuses obsessions. La pauvreté, la souffrance des siens, ou la mort.

Désabusée, elle livre ainsi le compte-rendu de ses nuits sans sommeil où, dans la pénombre, “elle espère juste qu’y’a un afterlife” (“Afterlife”). Asinine exorcise brillamment ses démons avec ce qu’il faut de subtilité pour rendre son art universel. Un coup d’œil au clip du morceau de “Deux ailes de cire”, dont la réalisation rappelle l’esthétique mortuaire de Tim Burton, suffit à prendre conscience de la richesse de son univers. 

— Alexis Pfeiffer

mademoiselle lou

2024 a beau être bien loin de son crépuscule, permettons-nous déjà d’affirmer ceci : cette année, le run de mademoiselle lou est impressionnant ! Celle qui avait déjà défrayé la chronique en 2023 – citons son featuring avec Booba, “Zénith”, ou “Petit coeur” – a publié deux EP ces derniers mois : Les ombres en janvier, puis La vague en avril. 

Ces douze titres offrent une parfaite synthèse du large éventail de la rappeuse du Val-de-Marne : entre introspection hargneuse (“Folie”), kickage ténébreux (elle pose notamment sur un sample du “Lac des cygnes” dans le morceau “Les cygnes”) et peine de coeur chantonné (“Pour nous”). Le tout, en s’accompagnant de quelques-unes des sensations du moment, Zamdane ou Kyana, par exemple. mademoiselle lou poursuivra-t-elle son marathon à la même allure ces prochains mois ? Nul ne saurait le dire. À voir, désormais, ce que la complète artiste nous réserve. 

— Alexis Pfeiffer

 

Mandyspie

Polar Escape, paru en 2023, était un régal pour les oreilles, une épopée musicale où cohabitent aussi bien électro que jersey drill… Il était déjà, à l’époque, impossible de ranger Mandyspie dans une case prédéterminée. Après cet EP prometteur (et, avant cela, quelques années d’expérimentation Souncloud dans les pattes), l’artiste franco-canadienne a sorti, début mai”, Monster Therapy, un projet puisant davantage dans certaines de ses inspirations, tel le rock.

“Je sortais d’une période où je me réécoutais beaucoup de rock et de musique alternative, Nirvana, Men I Trust, Tame Impala”, explique-t-elle dans une interview pour l’Abcdr du son. Dans les textes, Mandyspie raconte son quotidien précaire. Dans “Ferrari”, elle se demande quand est-ce qu’elle parviendra à gagner sa vie en tant qu’artiste (“Mais dis-moi, c’est quand qu’j’encaissе quelque chose à part la CAF ?”). Ajoutez à cela quelques références futuristes un brin angoissantes : la MC se met en scène, dans “Associal”, en train de rider “dans [sa] dystopie comme Akira” et se compare à une IA insensible.

— Alexis Pfeiffer

 

Zinée 

On écoute Zinée pour sa “baby voice”, pour son univers unique et pour son parcours inspirant. Si la rappeuse de la 75e Session nous avait convaincu avec Futée en 2020 puis Cobalt en 2021, nous n’avions pu apprécier sa musique qu’à travers des featuring depuis 3 ans (avec Bekar sur “Effet mer” et avec Damlif sur “Aluminium”). Mais depuis le 17 mai dernier, Zinée signe son retour dans nos oreilles avec OSMIN, son premier album.

Accompagnée par Sheldon à la production, l’artiste nous embarque dans un voyage emprunt tantôt de nostalgie, tantôt d’espoir. En effet, si Zinée a dû affronter de nombreuses épreuves dans sa vie, c’est bien le combat contre la maladie qui marque ce projet. Elle pose l’armure, se livre sincèrement sur la douleur, ses solutions et nous permet d’accéder à un nouveau stade de sa vision artistique. Un projet profond et introspectif qui sera défendu sur scène avec un set promettant de porter fièrement cette œuvre intime et touchante.

— Manon Virsolvy

 

Sheng

Rappeuse d’origine sino-libanaise, Sheng semble s’épanouir dans le rap en s’exprimant à la fois en français et en mandarin sur des sonorités ultrapop. L’artiste découvre le genre par le biais de ses potes de fac, et ne tarde pas à s’y frotter en posant ses freestyles sur les réseaux sociaux en 2019, ce qui lui permettra d’être très rapidement repérée et validée.

Si avec Enfant terrible l’artiste s’exprimait sur ses peines de cœurs, aujourd’hui Sheng explore les possibilités de la nouvelle wave avec plus de liberté ! Sa sensibilité est toujours présente dans ses textes et ses mélodies sont percutantes. On adore l’affirmation de cette artiste qui défend la place des femmes et des personnes racisées dans le rap. 

— Manon Virsolvy

 

Sa-Roc

En 2020, les États-Unis connaissent une grave crise après le meurtre de George Floyd devenu symbole du mouvement Black Lives Matter, alors que le pays est plongé dans cette quarantaine de Covid-19 depuis plusieurs mois. De cette atmosphère naît une nouvelle vague artistique dont Sa-Roc tire le meilleur. Accompagnée de son DJ et producteur Sol Messiah, elle délivre une performance lors de son concert Tiny Dest At Home qui l’a révèle au grand public.

Déjà signée sur le label hip-hop Rhymesayers Entertainment, aux côtés de Brother Ali, Aesop Rock ou encore Atmosphere, elle présente ce que va devenir son album testament sorti quelques mois plus tard, The Sharecropper’s Daughter. Dans un calme assourdissant, elle retrace les épreuves surmontées dans le chaos de Congress Heights, quartier de Washington ravagé par la violence et l’épidémie de crack dans les années 1980. Ce sacre lui ouvre la voie d’une tournée phénoménale avec Rapsody pour les mois qui suivent et la place dans le cercle des rappeuses lyriques les plus respectées de ces dernières années.

— Antoine Gady

 

CHIKA

Loin de l’image provocatrice et taquine qu’elle aime laisser paraître sur ses réseaux, la rappeuse CHIKA se fait en premier lieu remarquer par un flow percutant et une certaine fraîcheur dans un paysage binaire entre sérieux ennuyant et décomplexé à outrance. C’est en effet seulement en 2019 que la jeune femme d’Alabama, alors encore étudiante, connait un véritable succès avec quelques snippet humouristiques de rap non sans une technique déjà affutée. Elle cultive ce franc parlé sur autant de sujets qui la concerne, comme sa sexualité, le souci de son image et de son apparence ou encore ses problèmes mentaux auprès d’une jeunesse noire américaine qui s’y retrouve.

Sortie de sa zone de confort, elle se permet une première scène au Hangout Music Fest de cette même année et fait mentir les derniers réticents au phénomène CHIKA qui est en train de naître. Recueillie par Warner Records, elle officialise son projet artistique avec un premier EP en 2020 très bien reçu. En 2023, CHIKA signe son premier album Samson: The Album dans lequel on découvre toutes ses personnalités et quelques artistes qu’elle côtoie comme Snoop Dogg ou encore Stevie Wonder, rien que ça.

— Antoine Gady

 

Che Noir

À Buffalo, ville industrielle non loin de New-York, résonne au début des années 1990 les Illmatic de Nas et Ready to Die de Biggie et laissent à toute une génération l’espoir de construire un rêve à partir du rap. C’est le cas de Che Noir qui grandit dans cette ambiance, baignée dans une famille pauvre et fracturée. Après quelques apparitions passées sous les radars, Che Noir fait ses premières armes à partir de 2019, poussée par le vent nouveau d’un certain collectif des environs : Griselda. D’abord aux côtés du producteur et rappeur 38 Spesh, elle aiguise son flow à la manière d’une Rapsody qui lui concèdera d’ailleurs volontiers la ressemblance.

En 2020, Che Noir pousse la porte des premiers albums succès avec As God Intended. Une nouvelle connexion Buffalo-Detroit puisque Apollo Brown signe l’architecture musicale du projet et permet à la rappeuse une magnifique retrospective de ses jeunes expériences dans le ghetto américain. Une carte de visite incoutournable pour Che Noir qui depuis, enchaine les albums underground et minimalistes à son image. On concède sans problème à Matic : « [Che Noir] la rappeuse avec laquelle il faudra compter ses prochaines années » dans sa chronique BPZ du 14 février 2020…

— Antoine Gady

 

Rapsody

Est-il possible de passer à côté de Rapsody lorsqu’on doit lister cinq rappeuses influentes, encore aujourd’hui ? Je ne pense pas… Il est sage de rappeler, qu’en plus d’être une des inspirations majeures des précédentes femcee présentées, elle compte des collaborations avec Kendrick Lamar, Erykah Badu, Mac Miller, J. Cole ou encore 9th Wonder. C’est d’ailleurs avec ce dernier et la team de Soul Concil que la rappeuse de Caroline du Nord sort son épingle du jeu il y a plus de dix ans avec The Idea of Beautiful. Alors que tout le monde n’a d’yeux que pour Nicki Minaj, Rapsody apparaît alors que la nouvelle figure lyrique du rap féminin, crue mais soulful, incisante mais touchante.

En 2024, rien n’a changé. Beaucoup voient Sexy Redd et Ice Spice sur les réseaux, tandis qu’ici on tourne en boucle le dernier album de Rapsody sorti il y a quelques semaines, Please Don’t Cry. Cinq ans d’attente qui ne déçoivent pas. Difficile de se détacher d’une telle constance et qualité, et ce n’est pas Hugo Ferrandis qui va me contredire*.

*Clin d’oeil aux habitué·e·s de BPZ : Hugo est co-fondateur du média.

— Antoine Gady

 

 

Little Simz

Terminons cette liste par la touche UK indispensable lorsqu’il s’agit de mentionner des rappeuses incontournables : Little Simz. Dans une semaine, c’est aux côtés de Dua Lipa, Coldplay ou encore SZA, que la désormais superstar britannique sera à l’affiche du prestigieux Glastonbury Festival. Son nom résonne dans le rap anglophone après son troisième album en 2019 et explose dans le monde entier à la suite de son quatrième album en 2021, acclamé par la critique et multi récompensé, Sometimes I Might Be Introvert. Ce projet est la réflexion d’une artiste complète qui joue avec les genres, entre jazz et afrobeat, et ses performances vocales souvent remarquées.

C’est aussi animée d’une créativité unique que Little Simz sait parcourir d’autres univers à l’instar du dernier Drop 7 beaucoup plus électronique et bouncy. Un changement de cap qui n’enlève en rien l’impressionnante présence de Simbi dans le rap anglophone de ces dernières années.

— Antoine Gady

 


Mention spéciale : La Valentina, Nayra, Eesah Yasuke, Megan The Stallion, 7xvethegenius, Thierry Whack, Samara Cyn, arøne, Saturnz


DA : @soaznls