Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… les albums rap français sortaient le mardi avec des morceaux comprenant trois couplets et durant en moyenne plus de quatre minutes… C’était il y a 20 ans, autant dire une éternité pour un rap en perpétuel évolution qui aujourd’hui n’a jamais été aussi populaire. 2001 a été le témoin des premières sorties officielles d’artistes qui ont marqué à jamais ces années 2000. Du duo Tandem, aux groupes La Caution et Sniper, en passant par Salif et Ol Kainry, le public a pu découvrir des univers très différents.
Le collectif Mafia K’1 Fry, à travers les premiers opus de Karlito et Kery James, et l’énorme succès du second album de Rohff, a lui continué à déployer ses talents sur le rap français. Du côté du sud de la France, le crew Fonky Family a donné une suite à leur premier essai Si Dieu veut… tandis que le trio Triptik s’est enfin imposé avec ce fameux Microphonorama. Et pour finir, le charismatique Oxmo Puccino a décidé d’offrir une nouvelle facette de sa personnalité avec un second album qui tranche avec le précédent.
Sortie : 30 janvier 2001
Après une prestation remarquée dans la compilation B.O.S.S. Vol.1 de Joey Starr sur le morceau « Exercice de style », le groupe Sniper était plutôt attendu avec son premier album. Du rire aux larmes porte bien son nom avec des morceaux aussi bien mélancoliques que comiques. La complémentarité des quatre membres est l’un des véritables points forts de ce projet, que ce soit le côté ragga de Blacko, les scratches de DJ Boudj ou encore les voix et flows bien différentes d’Aketo et Tunisiano. Le meilleur exemple est certainement ce single « Pris pour cible » qui s’attaque aux clichés de la société française. Un morceau qui réussit l’exploit de placer en radio un titre dans lequel Tunisiano rap en Tunisien, assez rare, voire unique, pour le signaler. Sur le même thème, « La France » est une charge violente menée en solo par un Tuni enragé et inarrêtable, mais juste. Plus léger, le clash fictif entre « Aketo vs. Tunisiano » ou « La rumba » offrent, eux, des respirations amusantes à cet album plutôt engagé. Et enfin, le single « Du rire aux larmes » incarne vraiment l’ADN du groupe et ces morceaux radios du début des années 2000, peut-être un peu facile mais redoutablement efficace !
Sortie : 23 février 2001
Biberonnés rapologiquement parlant à l’école du Pont de Sèvre par des groupes comme Sages Po’ et Lunatic, c’est sur le label IV My People de Kool Shen que Salif se lance dans le grand bain. Mélancolique et faisant preuve d’une bonne dose d’autodérision sur cet album, il décide d’aborder un panel assez large de sujets dont le fil rouge est son addiction dangereuse à l’alcool. Un thème récurrent traiter notamment dans des morceaux comme « Bois de l’eau », avec Zoxea au refrain et à la prod, et « Elle est partie ». Produit quasi-intégralement par Madzim, cet album est aussi une ode à sa vie dans la rue dont les meilleurs titres sont « Notre vie s’résume en 1 seule phrase » et « tous ensemble » avec son compère EXS. Plus légers, « Sous bass et drum oblige » (comprendre « Sous b.e.d.o. ») et « Le break » nous offrent des moments extrêmement divertissants avec ces beats funky qui attirent l’oreille. Seul défaut de cet album brillant, un Salif clairvoyant qui avait prédit que son projet serait peut-être incompris et trop sous-estimé, et ce fût malheureusement le cas…
Sortie : 27 mars 2001
Après l’excellent premier album Si dieu veut… couronné de succès, ce second projet du groupe de Marseille souligne quelques changements importants. Pone qui était l’unique producteur se retrouve dorénavant en concurrence avec Le Rat Luciano dans ce domaine. Une émulsion créative aussi bien positive que négative qui pèse de temps en temps sur cet opus. Parfois un peu trop stéréotypé, les deux amis donnent l’impression de chercher plutôt l’efficacité à la spontanéité qui avait pourtant fait le charme du premier album de la Fonky Family. Derrière le matraquage radio des singles « Art de rue » et « Mystère et suspens », on préfère retenir des titres comme « Les miens m’ont dit », « Nique tout » et « Dans la légende » ou encore l’excellent solo de Don Choa avec « Petit bordel ». Au micro, comme souvent, Le Rat et le Don se détachent de Sat et surtout d’un Menzo un peu court face aux talents des deux premiers cités. Pour conclure, Pone explique mieux que quiconque le ressenti de beaucoup de monde sur ce projet : « la cohésion artistique de l’ensemble n’est pas assez abouti. On a fait un bon album mais on aurait pu faire un grand album, comme notre premier ».
Sortie : 10 avril 2001
Si ce premier projet solo de Karlito n’était pas forcément le plus attendu du collectif de la Mafia K’1 Fry, au final sa singularité en a fait l’un des plus appréciés par le public. Rappeur typique et discret, l’artiste d’Orly fait état d’une écriture qui semble simple en apparence mais se révèle bien plus complexe après quelques écoutes. Un flow particulier qui installe également une certaine froideur et un détachement dans ses textes, comme pour mieux se placer en observateur sombre de ce monde qui l’entoure. Cet album est aussi et surtout une collaboration déterminante avec DJ Mehdi. Véritable chef d’orchestre, le producteur se lâche avec une marge de manœuvre beaucoup plus grande et moins formatée que sur d’autres sorties de la Mafia. Mélangeant comme à son habitude électro et samples, le petit génie de la production nous projette avec grand soin dans l’univers de Karlito, à travers des collaborations de haut vol comme « La rue cause », « D’Orly à Orly », « Estelle » et « First ». Surprenant et éloquent, cet album reste l’une des très bonnes surprises de cette année 2001.
Sortie : 9 mai 2001
La sortie d’un sophomore album représente depuis toujours une étape particulièrement importante dans la discographie d’un artiste. Un véritable exercice de style à part entière qui peut s’avérer d’autant plus risqué que le premier effort a connu un certain engouement… Le second opus personnel d’Oxmo Puccino, paru trois ans après le cultissime Opéra Puccino, ne déroge pas à la règle et marque un véritable tournant dans la carrière du rappeur parisien. Il symbolise d’abord la fin de l’époque Time Bomb, où l’ancien Black Mafioso tourne définitivement le dos au story telling incroyable de ses récits mafieux pour se concentrer sur l’essentiel : l’émotion. A la manière d’un Biggie ou d’un Jay-Z, il adopte d’ailleurs une technique radicale en refusant d’écrire ses textes à l’avance comme pour mieux interpréter ce qu’il rappe de tête en studio. Le projet marque également le début d’une plus grande prise de liberté artistique, car si Oxmo garde toute son illustre verve (« J’ai mal au mic », « Premier suicide » ou « Balance la sauce »), il commence aussi à s’affranchir des codes du rap en chantonnant certains refrains (« Le tango des belles dames », « Le laid » ou « L’amour est mort »). Si bien qu’au final, quand bien même il n’atteindra jamais l’aura de son iconique prédécesseur, L’amour est mort reste un très bon album qui pose les bases de ce vers quoi va tendre la suite de l’œuvre de Mr Puccino.
Sortie : 15 mai 2001
Composé des deux frères Hi-Tekk et Nikkfurie ainsi que de DJ Fab, le trio La Caution fait partie de ces groupes qui ont offert une solution alternative à un rap français de plus en plus attirer vers le mainstream au début de ces années 2000. Innovant, le groupe se détache vraiment avec un style particulier, aussi bien dans les textes que dans l’approche musicale. Produit entièrement par Nikkfurie, cet album est donc un vent d’air frais qui mélange de façon séduisante plusieurs influences avec comme ligne directrice une base très électronique. Les titres « Toujours électrique » (dont la production possède déjà les prémisses de leur futur grand tube « Thé à la menthe ») et « Asphalte hurlante » incarnent parfaitement ce style revendiqué par le beatmaker. La plupart des prods sont accrocheurs à l’image de la très bonne collaboration « Entre l’index et l’annulaire » du collectif Les Cautionneurs comprenant les deux frangins, Saphir le Joaillier, Izno (leur petit frère) et 16S64. Sur cet album les deux rappeurs aiment s’appuyer sur des métaphores abstraites avec des références qui puisent leurs inspirations dans la littérature de science-fiction. Un projet excellent avec comme sommet le morceau bien nommé « Culminant ».
Sortie : 22 mai 2001
Si techniquement ce projet n’est pas leur premier album, c’est bien avec Microphonorama que le trio de Nanterre obtient enfin une reconnaissance méritée et débute sa discographie pour le grand public. Composé des deux rappeurs Dabaaz, Black Boul’ et du producteur Drixxxé, le groupe Triptik bénéficie du succès inattendu du single « Bouge tes cheveux » pour élargir leur base de fans. Énergique avec cette imposante basse slappée, ce titre attire vers cet album un nombre incroyable d’auditeurs nouveaux et emballés. Le reste du projet est une master class initiée par Drixxxé qui puise ses diverses influences dans le funk, la soul, le jazz et même le rock. A signaler également, les invités principaux qui ne sont pas des rappeurs mais des DJs, avec Cut Killer, Pone, DJ Fresh, Cutee B et DJ Damage qui jouent tous un rôle majeur dans cet album, servant de liant pour consolider le tout. Black Boul’ et Dabaaz apportent, eux, une certaine fraicheur au micro mise en exergue dans les trois parties du triptyque « Entrak » (entre interludes et freestyles) et des titres comme « Star System » et « Panam ».
Sortie : 25 septembre 2001
Porté par les énormes singles « TDSI » et « Qui est l’exemple » (avec Kayliah), ce second album de Rohff a marqué toute une génération et lui a permis également de décrocher ses plus gros succès commerciaux. Rien n’a été laissé au hasard sur la tracklist et la constellation de beatmakers est tout bonnement hallucinante. On retrouve aux crédits Doltz & Reego, Kore & Skalp, Tefa & Masta, Sulee B Wax, DJ Mehdi, Yvan et même DJ Abdel dans la réédition avec le fameux « Get Down Samedi Soir ». Après la reconnaissance critique obtenue avec son premier projet Le code de l’honneur, le rappeur né à Madagascar prouve qu’il peut aussi s’imposer en radio ! Derrière les singles connus se cachent également des titres plus sombres et bruts comme les excellents « Mirroir, mirroir », « Le même quartier », « Jeu 2 la mort » et « Darwah ». Sur ce dernier titre cité se dissimule un morceau caché un peu particulier avec « Interlude chinoise » dans lequel ROH2F nous compte la légende du petit dragon avec un accent chinois très cliché qu’il serait peut-être difficile de reproduire aujourd’hui… Si tout n’est pas parfait sur cet album, l’impact de ce projet reste toutefois immense.
Sortie : 23 octobre 2001
Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, le premier album solo de Kery James aurait très bien pu ne jamais voir le jour. Très affecté par l’assassinat de son ami Las Montana survenu en 1999, le rappeur d’Orly prend en effet la décision radicale de changer de vie. Il veut en finir avec la rue et décide donc de mettre fin à ses activités illicites et musicales, étroitement liées à l’époque. Finalement convaincu par ses proches de revenir sur sa position, le jeune homme réapparaît totalement transformé par sa récente conversion à l’Islam. Son discours toujours aussi engagé a sensiblement gagné en maturité. La violence et la provocation ont en effet laissé place à la sagesse et à la réflexion. L’incroyable plume d’Alix, devenu Ali, semble avoir complètement changer de dimension. Il faut dire que le choix religieux de ne pas faire appel à des instruments à vent ou à cordes dans la composition musicale de l’opus décuple la force de ses textes (« Si c’était à refaire », « Ce A d’avilissant » ou « 28 décembre 1977 » notamment). Les productions sont en effet particulièrement épurées et principalement basées sur de simples percussions et notes de xylophone. Si bien que la place centrale laissée aux vocals, à grand renfort de chœurs et de featurings, sublime littéralement le message du projet. Ce n’est donc pas vraiment un hasard si Si c’était à refaire… connaît un tel succès à sa sortie devenant disque d’or en quelques semaines à peine.
Sortie : 6 novembre 2001
Après l’EP bien nommé En attendant sorti la même année, c’est enfin l’heure des grands débuts pour Ol Kainry avec ce premier album. Un projet attendu de la part d’un MC qui sait se rendre attachant en n’hésitant jamais à se livrer pleinement. Loin des réflexes, voire clichés, dans lesquels les rappeurs se retrouvent trop souvent coincés, l’artiste d’Évry s’efforce à explorer tout un tas de thématiques bien différentes. Il nous raconte sur « Frédéric » le ressenti d’un enfant face à la séparation de ses parents et se met ensuite à la place d’un autre gamin qui a franchi la ligne rouge (« Pourquoi j’ai tiré »). Capable de nous livrer une lettre poignante à son père sur « T’inquiètes pas », il peut également être plus léger sur « Bobby » pour nous présenter ses parties génitales… De son expérience en prison (« Milieu carcérale ») aux singles accrocheurs « Qui veut » et « Lady » avec Jango Jack au refrain, Ol Kainry réussit pleinement son entrée dans la grande cour avec un opus des plus complets produit principalement par Ajevi et le génial Sulee B. Wax.
Sortie : 4 septembre 2001
Et pour conclure, en bonus, ce EP du duo Tandem qui se présente officiellement à son public avec ce premier projet. Le titre éponyme « Ceux qui le savent m’écoute » est la définition même du style prôné par Mac Tyer et Mac Kregor. Un univers sombre, puissant et revendicatif frappé par cette alchimie sans faille entre les deux protagonistes. La présence vocale des deux artistes est impressionnante, à tel point que leurs morceaux solos « Imagine » (Mac Tyer) et « Les maux » (Mac Kregor) semblent incomplets, manquant cruellement de l’autre. Un duo qui porte donc bien son nom et qui avec ce projet pose les bases de ce qui fera leur succès quelques années plus tard. Produit principalement par le duo DJ Maître & Tefa (qui deviendra plus tard Tefa & Masta), ainsi que Tecknik, Eben et DJ Poska, ce sont les premiers qui se démarquent avec les mémorables « Le chant de l’amertume » et « Mémoire d’un jeune con ».
Article réalisé avec la complicité de Christophe Freitas (Oxmo Puccino, Kery James).
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