Quelques jours avant la date limite de dépôt des candidatures pour les bilans de l’année 2019, le rappeur californien 03 Greedo et le très en vue Kenny Beats délivraient Netflix & Deal. Un album qui n’aura pas passé le cut de notre top album anglophone mais qui mérite tout de même une présentation dans nos colonnes.
Voilà maintenant plus d’un an que le rappeur 03 Greedo est coincé derrière les barreaux depuis son arrestation au Texas pour possession de drogues et d’armes à feu. Sachant qu’il risque d’y rester pendant 2 ans, le rappeur a enregistré des centaines de morceaux avant sa sentence afin de rester dans l’actualité. Après un projet avec DJ Mustard et un EP en compagnie du bassiste Travis Barker, le voilà de retour pour le très attendu Netflix & Deal ; un album composé par le producteur que tout le monde s’arrache en ce moment : Kenny Beats.
Originaire de Los Angeles, 03 Greedo était reconnaissable au sein de son quartier grâce à cette grappe de raisin tatouée sur sa joue en l’honneur de son gang “Grape Street Crips”. Depuis 2018, il est devenu l’une des têtes d’affiche d’une vague de rappeurs mélangeant les basses funky caractéristiques du rap californien et le fameux son « chopped and screwed » popularisé par le texan Dj Screw. Shoreline Mafia, Dreako The Ruler… autant d’artistes talentueux mais qui ne rivalisent pas avec notre rappeur à la voix nasillarde et ses flows désarticulés.
Toujours à la recherche de nouvelles sonorités, il n’y a rien d’étonnant à retrouver 03 Greedo aux côtés de Kenny Beats. Producteur en vogue, il est difficile d’ignorer le bonhomme tant il enchaîne les collaborations ; notamment avec Rico Nasty, Freddie Gibbs ou encore son acolyte Key!. Tout comme 03, Kenny fait preuve d’une versatilité impressionnante en s’adaptant à chaque artiste avec qui il collabore.
Mais à l’heure où le rap n’a jamais été aussi productif, le projet allait presque passer aux oubliettes alors que cette année 2019 arrivait à son terme. De plus, Greedo nous avait déjà fourni deux projets en moins d’un an et Kenny Beats prenait la route du succès en multipliant les apparitions. Pourtant, tel un élève studieux, le producteur avait travaillé ce disque entre deux session d’enregistrement de son show The Cave. Finalement, après quelques appels avec Greedo depuis sa prison, Netflix & Deal arrivait tout en douceur durant ce mois de novembre. Pour pallier à l’absence du rappeur, des figures de pâte à modeler apparaissent sur la cover, donnant une identité unique à cet album. Un monde enfantin se confronte alors à la dure réalité de la Californie. A cela s’ajoutent des films. Ceux que Greedo a regardé en boucle, et qui imposeront les thématiques de chaque morceau.
Si Scarface fait office de référence absolue dans le rap, 03 se plaît à idolâtrer le hippie dealer qu’est Johnny Depp dans Blow ou bien à se replonger dans les comédies indémodables comme Chérie, j’ai rétréci les gosses. En utilisant par ces films en référence, il transpose ses thématiques favorites que sont la drogue et l’argent, le tout dans un esprit cartoonesque. La preuve lorsqu’il évoque « Lilo & Stitch », des personnages de l’univers Disney, pour faire référence à son gang aux bandanas bleus ainsi qu’aux pilules d’ecstasy dans ses poches. Dans le titre « Brad Pitt », il se prend pour l’acteur, celui qui déboîte des mâchoires dans Fight Club, puis dans « Dead President » c’est son mode de vie de braqueur et trafiquant qu’il nous fait visualiser à travers le film du même nom.
In my pocket, blue people’s in my backyard
Blue faces, nightcrawler, blue bands, that part
Sans apporter une idée révolutionnaire, Greedo continue de se distinguer face à ses collègues. Alors que ces derniers ne cherchent qu’à tirer des bénéfices de leur musique, 03 se voit comme un artiste qui ne cesse de développer son art, jusqu’en dans sa cellule. Contrairement à ses autres projets remplis d’une trentaine de pistes, il offre un album plus condensé, qui ne s’éparpille pas autant que les précédents. Son art perd ici de sa spontanéité mais laisse place à un travail plus épuré et plus calculé.
Le hit « Disco Shit » est peut être le plus parlant, avec des sonorités aiguës sur une batterie de 808 bruyante qui donne naissance à un morceau funky à souhait où Greedo invite Freddie Gibbs qui joue le jeu du chanteur R&B à la New Jack Swing. On pourrait aussi citer « Honey I Shrunk The Kids » et sa fausse flûte rendant le morceau attractif du début à la fin. L’album s’apparente presque à un recueil de comptine, avec des rythmes enfantins et joviaux. Ceux qui restent gravées dans votre tête toute la journée.
Tout cela ne serait possible sans l’apport de Kenny Beats qui a calibré le produit pour le rendre professionnel.En effet, le producteur est connu pour savoir s’adapter aux demandes des artistes tout en gardant sa marque de fabrique faite de batteries explosives et de boucles à la frontière de l’électro (genre qu’il a pu pratiquer auparavant). Il va chercher des samples incongrus s’apparentant à des « bruits » désuets mais qui prennent sens grâce aux hi hats et autres snares qu’il insère pour aboutir à la forme parfaite. Certains s’apparentent presque à des nuisances sonores provenant d’un processeur Windows daté, comme si le logiciel de Kenny était défaillant. Pourtant, tout est calculé. Ce travail pointilleux, c’est aussi grâce à un mixage exemplaire concocté par Alex Tumay, ingénieur pour Childish Gambino ou 21 Savage ainsi que des producteurs tels que Dylan Brandy ou Nils venus épauler Kenny Beats.
Paid in full, bitch, I think I’m Money Mitch, ayy
I think I’m R.I.C.O. but won’t shoot you for those bricks
Du côté des invités, le titre « I Beg Your Pardon » s’apparente plus à un titre de Maxo Kream posant un refrain et un couplet pour ne laisser qu’une brèche étroite à Greedo. Pour le reste, des invités comme Vince Staples ou Buddy parviennent à se fondre parfaitement dans l’univers de notre rappeur de la côte Ouest.
Loin d’être un projet sans goût, Netflix & Deal propose une vision unique, un divertissement qui peut se targuer de durer dans le temps. Malgré la situation dramatique de 03, c’est avec humour et légèreté qu’on écoute cet album qui nous ferait presque oublier son incarcération.
Telle une bonne comédie familiale à l’humour gras qu’aurait pu réaliser un Seth Rogen, nous sommes face à une oeuvre qui nous absorbe et nous libère de nos pensées. Il n’est pas nécessaire de se concentrer. Il suffit juste de s’abandonner à l’hédonisme dicté par l’argent et le sexe que nous décrit savamment le rappeur du quartier de Watts. Certes, ce Netflix & Deal ne révolutionne en rien la musique mais il distille une aura jouissive qui devrait satisfaire même les plus réfractaires au rap californien.