Madlib, le « Yéti » du rap se livre dans une interview pour la RBMA

Madlib, le « Yéti » du rap se livre dans une interview pour la RBMA

Dernièrement nos radars ont clignoté de tous leurs feux pour nous signaler qu’un événement exceptionnel venait de se produire : Madlib, l’un des producteurs les plus prolifiques du jeu vient non seulement d’accorder une interview mais en plus, elle avait lieu en public! Pour les non initiés, il faut dire que Madlib, malgré sa carrière et sa réputation phénoménales, est toujours plus à l’aise derrière ses machines que devant une assemblée. L’interview a été retranscrite par The Fader, nous allons vous faire partager les meilleurs extraits. Au détour de cette interview, voici comment le journaliste Jason Parham présente le travail de l’artiste. 

Les boucles aguicheuses de l’album Champion Sound, fruit de la collaboration entre Madlib et J Dilla paru en 2003, ont toujours eu une saveur particulière. Depuis presque 10 ans, « The Official » a été un morceau fétiche. L’éclat de ce morceau, au sein duquel Madlib se charge de la production et laisse le micro à Dilla se trouve dans sa composition : il conjugue la lourdeur du morceau « Diana in the Wind » (1968) de Gap Mangione avec des effets du morceau « Stomped and Wasted » du jazzman Dizzie Gillespie tout en recyclant des lyrics du « Take It Personal » de Gang Starr datant de 1992. Avec un peu de recul, le morceau couvre 35 ans d’inspiration et au moins trois genres musicaux. On peut d’ailleurs le voir comme une mise en avant de l’évolution musicale et l’une des nombreuses dimensions qui matérialise la musique concoctée par Madlib (Otis Jackson Jr. à la ville et originaire d’Oxnard, CA) depuis deux décennies : un son distinctif et difficilement « catégorisable ».

Jaylib – « The Official »

Le week end dernier, Madlib a donc accordé l’une de ses rares interviews à l’écrivain Jeff « Chairman » Mao au Grolier Club qui a la réputation d’être le plus grand et le plus ancien cercle de passionnés d’Arts graphiques à New York. Madlib (42 ans) y a évoqué sa discrétion voire sa timidité (« Je ne parle pas en public »), sa relation avec le boss et fondateur du label Stones Throw, Peanut Butter Wolf, (« Il m’a permis de faire ce que je voulais »), l’art du beatmaking (« J’aime la part d’erreur humaine dans ma production ») et pourquoi il ressentait le besoin de constamment composer de la musique (« Pour ma santé »). Cet échange se déroulait dans le cadre de la RedBull Music Academy de New York au cours  de laquelle d’autres artistes se sont exprimés comme les producteurs d’Atlanta Zaytoven et Metro Boomin ou le réalisateur Spike Lee.

Outre un sens de l’humour un peu caustique notamment à l’égard d’Egon, son associé sur son label Madlib Invazion, Madlib compare l’entêtement qu’il témoigne à s’écarter de la lumière avec son approche du beatmaking. Voilà pourquoi, à la frénésie qui a accompagné la (les ?) sortie(s) de TLOP et un tweet de Kanye, il aurait préféré garder sa discrétion et continuer à produire des beats sous le radar des 22 millions de followers de KW.

Nous le savons maintenant, parmi les beats de ces 6 CD, se trouvait le providentiel « No More Parties in LA », une inversion magnétique du morceau de Junie Morrison, « Suzie Thundertussy ». Madlib explique : « Je voulais rendre ce beat plus dirty qu’il ne l’était à l’origine ». Puis de confesser : « En fait, ce beat a été fait depuis un iPad ». Bien que TLOP ne crédite Madlib que sur un morceau, les six CD n’ont pour autant pas été perdus : « Freddie Gibbs les a tous pris et a rappé sur chaque beat. Kanye a trop attendu ». Madlib révèle en passant que ces morceaux font partie des morceaux « sélectionnables » pour le nouveau projet de Gibbs à sortir prochainement : Bandana. Il s’agit d’ailleurs du second album collaboratif du duo après Pinata en 2014.

Freddie Gibbs & Madlib – « Harold’s »

Depuis qu’il a commencé sa carrière en tant que producteur et même parfois comme rappeur, Madlib a eu une multitude de complices dont Gibbs est le plus récent. Il entretient cela dit des relations particulières avec chacun d’entre eux. « Gibbs est comme un cousin pour moi – il peut vous tirer dessus comme vous prendre dans ses bras ». Quand en 2004, il s’associe à MF Doom pour sortir Madvillainy, à propos duquel vous connaissez notre avis, il dit de lui : « Il est comme Bird pour moi », faisant référence au légendaire saxophoniste Charlie Parker. Puisant son inspiration chez ses compères comme Marley Marl, DJ Pooh, Dr Dre ou Public Enemy, l’œuvre de Madlib pourrait se lire comme une histoire abrégée de la musique noire américaine : en plus de Dilla, West, Doom et Gibbs, il a  aussi collaboré avec Erykah Badu, Mos Def, De La Soul, Blu, Guilty Simpson, Tha Alkaholiks, Georgia Ann Muldrow, J Rocc, Talib Kweli et bien d’autres. Autant le dire tout de suite, entre sa collection Beat Konducta (qui peut se voir comme une exploration de la musique mondiale), ses enregistrements en tant que Quasimoto et les quatre pièces pleines de CD de ses beats, il y a fort à parier que le public puisse ne pas explorer toute cette richesse. Le catalogue de Madlib est si vaste qu’il semble difficile de le quantifier de manière mathématique. Sa productivité semble difficilement mesurable tant il défie les lois physiques. Son travail n’a pas de limites de genres ou d’artistes, il s’étend du rap, du R’n’B ou de la soul à des genres plus périphériques comme l’électro-brésilienne, du rock psychédélique ou du post-jazz. L’abondance de Madlib semble épouser la loi de l’Univers : il n’y a jamais de fin, tout n’est qu’un début.

Pour la suite, voilà ce qu’il nous réserve : son label Invazion s’apprête à sortir le fruit de sa collaboration avec Gibbs puis les projets des rappeurs Evidence et RJ de Slum Village. Par ailleurs, Madlib explique avoir enregistré plus de dix heures de musique avec ses « idoles » Embryo, un groupe de jazz-rock allemand bien qu’il ne soit pas encore certain de ce qui ressortira de ces sessions. « Je m’ennuie facilement avec la musique donc j’essaie d’écouter des genres différents pour explorer ce qui est possible. » Depuis des années, fans et critiques ont, chacun à leur manière, essayé de catégoriser le producteur, de capturer son essence et de disséquer chaque aspect de sa vie. Samedi, une explication est venue quand Mao lui a demandé ce qui motivait son abondance : il a répondu, « Je continue simplement à avancer« .

Cet article est un résumé de l’article de Jason Parham « Madlib, Rap’s Bigfoot, Makes A Rare Appearance«  sorti sur le site www.thefader.com