Pascal Tessaud : « fier d’avoir réalisé le premier docu français sur le Beatbox »

Pascal Tessaud : « fier d’avoir réalisé le premier docu français sur le Beatbox »

Après avoir présenté son premier long métrage de fiction Brooklyn à l’ACID au festival de Cannes en 2014, le réalisateur Pascal Tessaud renoue avec le film documentaire sur la culture urbaine avec Beatbox, Boom Bap autour du monde, consacré au cinquième pilier oublié du Hip Hop, le beatbox. Projeté à La Place à Paris, ce documentaire unique en France nous a donné envie de se pencher sur la vision de cette discipline entre New York, Berlin et Nantes de ce passionné, qui allie avec conviction son amour pour le cinéma et le Hip Hop.

The BackPackerz : Auparavant, tu avais réalisé un documentaire sur la scène Slam française, Slam ce qui nous brûle, en 2007…

Pascal Tessaud : En fait, j’ai déjà quatre autres documentaires à mon actif, dont mais « Slam, ce qui nous brûle » c’était mon premier film documentaire. Je fréquentais toutes les soirées « Slamaleikoum » au Café Culturel de Saint-Denis et je voyais défiler de parfaits inconnus qui déclamaient des textes sublimes, c’était une scène totalement underground, brillante, hétéroclite, libre. Le public mélangé était une utopie d’une société idéale où les différences s’écoutent. C’était pourtant en plein chaos des émeutes. Ca a été le déclic, aucun média ne s’intéressait à ce mouvement de liberté d’expression populaire, j’ai décidé de partir avec ma caméra dans cette belle aventure pour valoriser le renouvellement de l’écriture, pour témoigner d’un mouvement artistique foutraque en train de naître qui me rappelait l’état d’esprit fraternel des origines du Hip Hop. Une culture qui prend de l’ampleur pour une fois de la périphérie et pas des beaux quartiers du Centre Ville. Tous ces banlieusards inconnus qui reprenaient le flambeau du Spoken Word newyorkais, c’était magique. Lorsque Grand Corps Malade est passé à la télévision, du jour au lendemain, les médias se sont rués sur le mouvement Slam. Les slameurs de Saint-Denis comme John Pucc’ Chocolat et Ami Karim ont accepté que je continue de filmer, d’en faire un vrai documentaire, ils me connaissaient depuis longtemps. Grâce à leur soutien, j’ai pu filmé beaucoup de figures incontournables du mouvement. Ce premier documentaire a été diffusé sur France 5 et dans le monde entier dans beaucoup de festivals et d’Instituts français. C’est devenu un classique que beaucoup de slameurs montrent dix ans plus tard dans leurs ateliers d’écriture.

Comment as-tu eu l’idée de ce film sur le milieu du Beatbox ?

J’ai assisté à une battle au Théâtre de La reine Blanche à Paris en 2012. J’ai eu la même sensation en découvrant ces jeunes Beatboxers que pour le mouvement Slam. Un état d’esprit collectif, une perpétuation d’un art ancestral, des sons sortis de nulle part et une énergie de partage 100% Hip Hop. Quels talents ! Quelle inventivité ! Je me suis pris une grosse claque. Je savais que la concrétisation du projet ne serait pas facile, même si des artistes comme Eklips ou Sly Johnson sont connus du grand public, les chaines de télévision étaient frileuses. Elles ont toutes rejeté le projet, malgré mes films qui ont circulé dans le monde entier. J’ai décidé de partir en mode guerrilla et d’aller au bout, coûte que coûte, soutenu par ma fidèle productrice Nadège Hasson de Temps Noir. J’ai pris ma petite caméra, et je me suis lancé à l’arrache dans l’aventure. Je suis allé à tous les événements possibles. Le premier a été les championnats de France à Lyon en 2013. Grosse claque. Puis, j’ai suivi la Cup à Maurepas, où se présentaient des Beatboxers du monde entier. Deuxième claque. Aucun média n’était encore présent. Je me suis rendu alors au championnat de France à Nantes en 2014, où Sly Johnson était membre du jury. Bim ! Re-claque. Je filmais tous ces moments magiques. France O nous a finalement donné leur feu vert. J’ai commencé à me faire petit à petit accepter par le milieu du Beatbox, à créer de vraies amitiés. On a pu bénéficier alors de moyens financiers suffisants pour tourner de manière plus professionnelle. J’ai pu faire les portraits des beatboxers dans leurs villes à Marseille, Mâcon, Grenoble, Lyon. Puis on est partis aux championnats du Monde de Berlin pour filmer un véritable feu d’artifice.

Alem est devenu le personnage de ton film…

Oui, j’avais choisi avant Alem comme personnage principal de mon film. Je l’ai suivi avec son complice BMG à Grenoble et à Lyon. Ils étaient devenus champions de France à Lyon en équipe de deux devant ma caméra. J’ai filmé plus tard Alem dans son petit village entre Lyon et Grenoble au milieu des canards et des chèvres. J’ai adoré sa personnalité authentique, son naturel iconoclaste, sa simplicité. C’est un bon mec. Je l’ai donc suivi à Berlin au championnat du monde en 2015 en espérant qu’il aille le plus loin possible. J’ai pas été déçu du voyage ! Il se qualifie pour les deux finales en solo et en équipe de deux (tag team) avec son crew Twenteam’8 devant les ténors mondiaux. Et il gagne les deux titres !! Une grande première pour la France. Les autres frenchies ont également été très loin dans la compétition dans toutes les catégories. J’ai eu beaucoup de chance d’être là avec une caméra pour filmer ce moment historique.

Tu as donc décidé d’aller à New York pour filmer les pionniers de la discipline, Rahzel et Kenny Muhammad…

Après le triomphe français à Berlin, je me suis dit qu’il était indispensable de se rendre à la source de la discipline, c’est à dire New York. Temps Noir a réussi à obtenir des financements complémentaires. Néanmoins, nous n’avions pas le budget suffisant pour payer le voyage d’une équipe de tournage. Comme j’ai appris à être chef opérateur sur le tas, je suis donc parti tout seul à New York pendant un mois. Arrivé là bas, j’ai commencé à rencontrer la nouvelle génération de la Beatbox House de Brooklyn que j’avais croisée à Paris et Berlin : Chris Celiz, Kenny Urban, Napom, Gene Shinozaki ou encore Kaila Mullady, (qui est devenue championne du monde à Berlin). Pour les stars comme Rahzel et Kenny Muhammad, les rencontrer a été plus compliqué. Comme je n’avais jamais rencontré physiquement Rahzel, il m’a planté deux fois. Je savais que les artistes de la Street préfèrent une relation de confiance plutôt que des contacts par mail ou Facebook. A ma grande surprise, le manager de Rahzel parlait français, car il était d’origine haïtienne et avait de la famille à Grenoble ! Le courant est vite passé. Le manager m’a proposé de rencontrer Rahzel le jour même au Blue Note Festival à Chelsea. Au début, Rahzel était distant. Je me suis retrouvé seul face à l’artiste pendant ses balances avec une caméra 5D et un micro acheté dans un magasin bon marché américain, j’ai filmé ! Il s’est rapidement détendu lorsque je lui ai parlé de sa prestation légendaire sur Canal + avec IAM pour la sortie de L’Ecole du Micro d’Argent en 1997 que j’avais vu en direct et qui avait inspiré la seconde génération de Beatboxers français comme Under Kontrol. On a discuté ensemble sept heures d’affilée notamment sur l’influence de Biz Markie sur sa carrière. C’était génial. Trois jours après, il m’a donné rendez vous dans le South Bronx, le berceau du Hip Hop où ont été organisées les premières Block Parties. Il m’a amené au Zoo. Il m’a également expliqué que son cousin rappait avec Kool Herc…Pour moi, cette rencontre au Bronx était un énorme cadeau de sa part, il voulait inclure le Beatbox dans le lieu mythique de la culture Hip Hop comme la 5ème discipline à part entière du mouvement. La rencontre avec Rahzel m’a donné envie d’aller plus loin et de provoquer la rencontre avec son alter ego Kenny Muhammad. Avoir les deux papas du beatbox français dans le même film ! Quand Kenny a su que j’avais la crème mondiale dans mon documentaire, il a finalement accepté de me voir. Finalement, il m’a appelé vers 22 heures pour se retrouver à Times Square pour une interview spontanée. Il repartait le lendemain pour le Texas. Le fait de m’impliquer un mois entier à New York m’a permis de m’adapter aux aléas et aux hasards des rencontres et des emplois du temps. C’est en restant longtemps à New York et en lançant l’appel que je filmerai tout le monde en ville que la chance a bien voulu taper à ma porte. Pour Doug E Fresh, je n’ai pas réussi à l’avoir, car aujourd’hui c’est plutôt un homme d’affaire. J’avais pourtant son portable, en vain ! J’ai tenu néanmoins à insérer des images d’archives de Doug E Fresh extraites du documentaire hollandais Big Fun In The Big Town, datant de 1986. Je suis vraiment super heureux de cette aventure humaine qui a duré tout de même 3 ans, car j’ai eu les deux légendes du beatbox new yorkais et neuf champions du monde de la discipline dont six français !

Dans le documentaire, on découvre une ambiance très proche des débuts de la danse Hip Hop avec cette idée de communauté fraternelle et cette énergie…

Exactement. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à réaliser ce film. Pour moi, la communauté Beatbox française est dans la continuité de cet état d’esprit du démarrage du Hip Hop, que j’avais également retrouvé dans les débuts du Slam. Les Beatboxers veulent se clasher, mais le challenge reste sportif. Ils restent toujours dans un énorme respect. On doit ce mérite aux anciens comme Under Kontrol, Faya Braz ou Micspawn, qui ont cette culture du début du Hip Hop. Ils ont su transmettre et perpétuer ces valeurs de respect et de partage à la nouvelle génération. Quand les français débarquent à Berlin, ils sont trente unis, contrairement à certaines nations représentées plus individualistes. Contrairement au milieu de la danse ou du rap, il n’y a pas beaucoup de prize money à se faire. Ils ne viennent donc pas pour ça. Juste pour le kiff et le challenge artistique à relever. Être le plus fort possible. Progresser. Repousser les limites de la création sonore et progresser au contact des meilleurs. Cette philosophie est de plus en plus rare et de voir des beatboxers de 17/20 ans arriver avec cet état d’esprit puriste, c’est magnifique. Je me retrouve totalement dans cette émulsion. Le monde entier envie et admire la communauté beatbox française, considérée à juste titre comme la plus forte communauté au monde, de par le nombre de ses talents, le niveau général et l’émulsion qui rehausse en permanence le level. Les beatboxers français sont devenus les plus forts au monde. Lors de la finale des championnats du monde, Alem rend d’ailleurs hommage à Micspawn en reprenant une de ses routines dans son dernier round. Une manière de dire qu’il respecte ce qu’ont apporté ses aînés, qu’il est le fruit de cette recherche musicale, de cette histoire commune et qu’il dépasse le maître pour aller encore plus loin dans l’exploration de sonorités inédites. Il représente ! Sachant que Micspawn n’a jamais pu être champion du monde, cet hommage est sublime. Dans un discours anti jeunes, qui tend à dénigrer l’image d’une jeunesse égoïste, la « génération François Fillon » aurait beaucoup à apprendre de cet état d’esprit Hip Hop ! Cette mentalité a choqué la new school américaine à Berlin, qui a appris par elle-même à beatboxer. Depuis cette génération issue de la Beatbox House a décidé de vivre réellement en communauté sous le même toit à Brooklyn. Ils vivent ainsi le Beatbox 24 heures sur 24. Donc la France inspire les américains. Je pense que les américains vont revenir très forts au prochain championnat du monde. La communauté Beatbox demeure une famille mondiale, car chacun s’invite à des battles dans leur pays respectif. Plus de frontière. Internet a décloisonné tout ça et a redonné un second souffle à une discipline qui était en déclin dans les années 2000. Je suis donc fier d’avoir réalisé le premier documentaire français sur le Beatbox. A ce propos, j’ai reçu des compliments de Kenny Muhammad, qui est assez dur dans ce domaine. Il m’a confié que Beatbox Boom Bap…était de loin le meilleur documentaire qu’il ait vu sur le Beatbox. Ça fait plaisir non ? J’ai bossé comme un fou, avec des tous petits moyens. Les beatboxers attendaient ça depuis si longtemps. J’ai rien lâché. Dans quelques temps, je vais pouvoir sortir un DVD collector du doc avec plein de bonus de fous furieux.

Crédit photo : Régis Dubois