Evidence : « J’ai arrêté de vouloir imiter The Alchemist »

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Evidence : « J’ai arrêté de vouloir imiter The Alchemist »

Evidence, c’est 20 ans de carrière dans l’underground, une discographie plus que complète, des featurings et des collaborations d’exception. En concert le 1er juin dernier sur la scène parisienne de la Bellevilloise, nous avons eu la chance d’échanger avec le rappeur des Dilated Peoples sur sa carrière en groupe et en solo, son travail de producteur, ses inspirations et bien entendu, son prochain et très attendu album dont Evidence nous a gentiment dévoilé quelques éléments.

Evidence : Vous savez c’est ma première interview depuis longtemps…

The BackPackerz : Effectivement, tu as en quelque sorte disparu des radars depuis un petit moment ?

Evidence : Depuis un an et demi oui environ, mais je faisais quand même des concert pendant cette période. Je me suis fait discret pour de bonnes raisons, mais bon, tu as beau avoir ta vie privée, aujourd’hui il faut être de plus en plus connecté et présent pour tes fans. J’aimerais être un livre ouvert pour eux, en tout cas j’essaie de faire le maximum. Si tu ne tiens pas tes fans au courant ou que tu ne les inclus pas dans la boucle, ça peut rapidement devenir compliqué. Par exemple, si tu reviens après un long moment de silence en postant une photo qui n’a rien à voir, tu vas recevoir des tonnes de commentaires du style « hé mec on s’en fout de ta photo, tu en es où de ton album? » et tu deviens presque un otage de tes propres réseaux sociaux.

Justement, en parlant de cet album, tu en es où aujourd’hui ?

Je viens de le finir et j’en suis très content. C’était tellement long et compliqué comme projet. Du côté créatif, si tu prends trop de temps pour ton album, tu perds ta ligne directrice et la forme comme le fond de ta musique peuvent changer. Mais j’ai enfin réussi à résoudre le puzzle et quand je prends du recul dessus je me dis « ça y est, enfin je l’ai ».

C’était donc une volonté de prendre autant de temps pour la création ?

Avec tout ce que j’ai pu faire et donner, j’ai le sentiment de ne pas pouvoir tromper les gens. Je ne peux pas sortir quelque chose si à mes yeux il n’est pas bon. Cet album expliquera également en grande partie mon absence, il faudra être au rendez-vous en septembre.

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Tu es dans le game depuis bientôt 20 ans, comment expliques-tu une telle longévité ?

20 ans, déjà !? [Rires]. On s’est rencontrés avec Rakaa en tant que graffeurs mais nous n’avons pas sorti de réel projet avant 2000, même si Third Degree est sorti en 1997 mais ce n’était qu’une sorte de bootleg. Donc oui, 20 ans, je crois que tu as raison ! Mais tu sais, si tu aimes ce que tu fais, tu ne te rends pas vraiment compte du temps qui passe. Tu vois, plein de mecs de mon âge sont en costards, à vivre une « vraie vie d’adulte », et je respecte ça. Mais moi, j’ai préféré continuer à faire ce que j’aime, à continuer de vivre comme un gosse. Je suis mon propre boss, je n’ai de compte à rendre à personne. Même si je bosse 20 heures par jour, je fais ce que j’aime tous les jours et ça n’a pas de prix.

Après toutes ces années, où est-ce que tu continues à trouver l’inspiration ?

Hum… Alchemist [Rires]. Non sérieux, plein de gens autour de moi. Je trouve plein de trucs sur SoundCloud par exemple, j’aime bien être un peu précurseur, ne pas avoir à attendre que tous les autres connaissent le son pour le trouver intéressant. J’écoutais la démo de Vince Staples il y a trois ans par exemple, et regarde où il en est ! Pareil pour Action Bronson, mon pote Ashton Matthews ou bien Tha God Fahim. Et avec tous ces nouveaux artistes que je découvre, à chaque fois je me dis « wow, ça, ça m’inspire ! » et je me fiche de savoir si c’est vieux ou pas, ça sonne juste comme quelque chose de nouveau. Et puis surtout, ce n’est pas ce que la radio me dit ce qui est du rap. Ça, je le définis tout seul. Quand tu découvres quelqu’un dont personne n’a jamais entendu parlé, tu t’appropries un peu le truc, même si bien sûr je ne suis pas dans la copie, je fais les trucs moi-même. Mais ça t’inspire, c’est naturel. Il y a plein de producteurs qui m’inspirent aussi d’ailleurs, pas seulement des rappeurs. Comme Knxwledge, Jonwayne, DJ Skizz, Twiz The Beatpro etc… Je pourrais parler de tellement de monde ! Pour ce qui concerne le contenu de mes morceaux, bien sûr je m’inspire de ma vie. Je ne suis pas dans un délire de battle, j’aime les punchlines, mais plus autant qu’avant. Parfois tu as juste envie de parler de ce que tu ressens.

Tu as connu un grand changement dans ta vie, puisque tu es devenu papa. Dans de précédentes interviews, nous avions demandé à Slug et Murs si la paternité avait changé leur musique. Ils nous ont tous les deux donné des réponses différentes : Slug disait qu’il se devait de faire quelque chose de nouveau alors que Murs était plus « c’est mort, je continuerai à faire la même chose et mon enfant fera avec ». Quel serait ton point de vue sur cette question ?

Je pense que j’ai jamais rien dit de trop subversif, à part quelques références à la weed. Mais dans tous les cas, on en parlera sûrement quand mon fils sera plus grand. Je ne suis pas gêné par ce que j’ai pu dire, je ne suis pas un mec qui fait dans la controverse ou qui dit des trucs sur des coups de tête et qui, plus tard, regrette ce qu’il a pu prononcer. Donc non, je n’ai pas envie de changer par rapport à mon fils. D’ailleurs, j’espère qu’il sera un vrai musicien, pas comme moi [Rires].

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Tu ne te vois pas comme un vrai musicien ?

Oui et non. Je veux dire, je ne peins rien avec mes propres mains. Je fais de l’assemblage de trucs que je trouve ici et là, et ça c’est mon art, mais c’est différent. Je me vois plus comme un producteur finalement que comme un musicien. Je suis bon dans l’écoute et dans la recherche de musique. Je pense savoir dire si quelqu’un fait de la bonne musique. Je vais me dire « je veux ça » ou « je n’aime pas ça ». Je fais pareil avec les vinyles, je trouve des sons, je prends des trucs et j’en élimine d’autres. Parfois, tu tombes sur des perles et là, la bêtise serait de tenter d’en faire quelque chose de différent. Tu le prends tel qu’il est, tu ne vas pas rajouter des snares sur un chef d’œuvre juste pour une question d’égo. Donc moi, je crée à partir des autres, je ne suis pas là à produire de l’art pur.

Tu évoquais The Alchemist comme une source d’influence un peu plus tôt. Peux-tu nous en dire plus sur sa façon d’influencer ta musique, même aujourd’hui ?

Bien sûr, il a toujours une petite influence sur ce que je fais mais je ne le copie plus aujourd’hui. J’étais comme ça, mais plus maintenant. Je pense plutôt « je vais lui montrer ça » quand je fini mon beat. Je me fie simplement à mon cerveau : « est-ce que j’aime ça ou est ce que je n’aime pas ? ». Maintenant, quand je produis je ne me demande plus « qu’est-ce qu’aimerait Alchemist ? Preemo ? J’accélère le beat ici, je fais comme ça là », etc. Je ne peux pas me contenter de copier les CD de Gang Starr.

Tu es monté en confiance au fil des années…

Je pense oui, notamment avec le public. Nous avons d’ailleurs sorti le clip de « Throw It All Away », et on va atteindre le million de vues en à peine un mois. Je ne m’y attendais pas !

Pourtant les gens t’attendaient quelque part, tu ne penses pas ?

Oui, mais ce morceau n’est pas vraiment un hit, c’est simplement une musique que j’ai écrite comme ça, et enregistré en une prise. Par exemple, le refrain arrive avant la première minute et pourtant, c’est le genre de choses auxquelles on fait attention quand on écrit une musique. Avant, et surtout avec Dilated Peoples, tout était au détail près, c’est-à-dire que chaque couplet était mesuré, Babu devait scratcher dans le refrain etc… mais maintenant c’est différent. Je n’essaie pas de passer à la radio, je m’en fiche. J’ai essayé évidemment… Avec Dilated ou bien avec le morceau pour Kanye par exemple, et ça a marché ! On est passé à la radio mais je ne suis plus dans cet état d’esprit aujourd’hui. Je suis un artiste graffiti avant tout, donc l’anonymat est quelque chose que je recherche. Les gens voient ton travail sur le mur mais il ne savent pas qui tu es. Maintenant, je veux faire des concerts, je veux faire de bons clips, partir en tournée avec les gens que j’aime, et ça me suffit.

Quand as-tu réalisé que tu préférerais te rediriger vers l’underground ?

Dès que j’ai quitté Capital Records et que j’ai voulu me lancer en solo. J’avais de grosses pointures dans mon entourage (will.i.am par exemple, qui est un de mes grands amis et qui connait un grand succès), mais ce n’est pas mon état d’esprit à moi. Je veux être libre de mes mouvements et mes choix.

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A quel moment as-tu décidé de passer chez Rhymesayers, et pourquoi ?

Après Capitol, je suis passé chez ABB Records pour The Weatherman, mais il y a eu des désaccords. Par exemple, cet album a été retiré de Spotify. J’ai du engager une procédure judiciaire pour récupérer les droits et j’ai désormais repris le contrôle total dessus. Je suis ensuite passé chez Decon Records (label de New York) pour Red Tape instrumentals en 2007 mais je n’arrivais pas à me projeter avec eux… Après ces épisodes, j’étais très attiré par l’organisation de Rhymesayers, notamment sur les médias sociaux. Quand tu te rends à un show d’Atmosphere et que tu constates l’alchimie entre eux et leur public, c’est là que tu vois que le boulot est bien fait. J’ai progressivement fait passer mes projets chez eux, notamment Step Brothers avec Alchemist et aujourd’hui, c’est mon quatrième album chez eux.

Quel est l’implication de Rhymesayers dans tes projets ?

Ils m’avancent l’argent [Rires]. Sérieusement, je jouis vraiment d’une grande liberté chez eux. J’envoie mes maquettes au gérant, Ant, pour savoir si mon projet correspond à ce qu’ils veulent sur leur label, mais finalement, je n’ai pas de limites imposées. On est loin du style « j’ai besoin de tout entendre et contrôler ce que tu as fais avant de sortir ton projet ». J’ai le total contrôle sur ma musique et sur ce que je veux faire. A quoi bon être indépendant sinon ? Bon, après, j’ai tout de même eu droit à quelques pressions pour le nouvel album..

Pour finir, tu penses pouvoir nous balancer quelques exclusivités sur ton prochain album ?

Un tout petit peu alors ! Le titre sera Weather Or Not. La cover est réalisée par Stephen Vanasco, photographe de L.A., qui a lui-même réalisé le clip de « Throw It All Away », donc attendez-vous à quelque chose en noir et blanc… Cet album expliquera aussi en grande partie ma période d’absence qui est due à de graves problèmes de santé dans mon entourage très proche [Evidence s’est confié davantage sur cette situation « off the record » mais nous a demandé de ne pas inclure plus de détails dans notre interview, NDLR] … En ce qui concerne les featurings et la production, je préfère ne pas en dire plus. Il faudra être patient et répondre présent en septembre !

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L.A. by Stephen Vanasco

Remerciements : Evidence pour sa gentillesse, Yannick de Live Nation et nos partenaires de Free Your Funk pour avoir permis cette interview.

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