Hip-Hop : du Bronx aux rues arabes
L’exposition s’est ouverte il y a une semaine, et sera en place jusqu’à la fin du mois de juillet, au sein de l’Institut du monde arabe, à Paris. Dans le 5e arrondissement, probablement l’un des quartiers les moins hip hop de la capitale. Mais ne jouons pas les mauvaises langues d’entrée de jeu, d’autant plus que « Hip hop : du Bronx aux rues arabes » a de sérieux arguments à faire valoir.
Akhenaton en directeur artistique
Les 2 étages consacrés aux débuts du hip hop, dans le Bronx et à Paris, et faisant découvrir la scène musicale arabe sauront en effet contenter néophytes et spécialistes. L’entrée en matière se fait au milieu des boombox, Sharp 777, Grundig-RR-950, Jumbo MG-6000, Sharp VZ 2000, customisé par Dan23, Ary.P, Brok Hardcore et 3HC, entre autres. Cette introduction bien pensée (parfaite pour les selfies) annonce en tout cas l’éclectisme de l’expo : fringues, dessins, graff, tags, rap, djing, danse, musique, cinéma, politique… Le visiteur découvre véritablement un « mouvement » hip hop, avec toutes ses expressions et sa cohérence. Bien entendu, la présence du rappeur Akhenaton en directeur artistique n’y est pas étrangère. Il se montre brillant sélectionneur, et parvient à évoquer avec précision l’histoire du mouvement dans le Bronx (avec Afrika Bambaataa et la Zulu Nation), à Paris (de Dee Nasty à La Haine) et des pays arabes (Maroc, Palestine, Liban, Tunisie, Algérie). Mais il réussit surtout à ne pas imposer de parcours au spectateur, qui reste assez libre de sa progression entre les différents pays, sans pour autant perdre le fil de l’exposition.
Un bon voyage
La première salle est particulièrement révélatrice : une partie présence la fulgurance née dans le Bronx avec Kool Herc et sa création du breakbeat dj’ing en 1973. Il sera malgré tout vite éclipsé par Afrika Bambaataa : Bambaataa et ses Renegades of Funk, Bambaataa et sa Zulu Nation, une partie de la discographie de Bambaataa (« This album belongs to Bambaataa Khayan Aasim #250 », sur la pochette de High on you, de Sly Stone)… Inutile d’écrire qu’avoir un accès direct à la collection d’un des pères fondateurs du hip hop n’arrive pas si souvent.
Quelques vinyles de la collection personnelle d’Afrika Bambaataa
Une partie de la collection d’un certain Patrick Vogt, à Maastricht, ajoute aussi quelques perles, dont un enregistrement vinyle de la fameuse bataille entre les Fantastic Romantic 5 et les Cold Crush Brothers, le 4 juillet 1981. Avec du jean un peu partout, les vidéos de Gary Weiss, les photos de Jamel Shabazz, de Joe Conzo, de Lisa Kahane, c’est Wild Style sur la rive gauche !
Le rez-de-chaussée de l’exposition, « côté Bronx »
En face, si « La vie est brutale » d’Ideal J ou « Bouge de là (part. 2) » de MC Solaar résonnent aux oreilles, la documentation est surtout visuelle. Aux côtés des lunettes de Sidney (H.I.P.H.O.P.) et des mixtapes de Cut Killer, les photos de Yoshi Omori documentent à merveille les débuts du mouvement au mythique terrain vague de Stalingrad, à Paris, quand celles de Jean-Pierre Maéro rappellent des souvenirs de Marseille.
De la cité phocéenne aux côtes de l’Afrique, il n’y a pas loin, et l’on passe très facilement du rap français au rap arabe. Avec une invitation, en fait : en décembre 1998, IAM fait venir le groupe algérien Intik pour un concert à Marseille. Et le rap arabe s’étend bien plus loin : le mur d’écoute de la première salle mérite l’arrêt. Il permet de découvrir des musiques souvent inédites, et un autre mouvement, parfois en contact avec l’Europe. Hamma, K.Libre (Algérie, et les contributions de Rim’K, de 113), Fnaire, Don Bigg, DJ Key (Maroc, avec les apports de DJ Abdel et Cut Killer), Wael Kodeih/Rayess Bek (Liban), Slim Larnaout, El Général (Tunisie)…
C’est toute une scène souvent méconnue que l’on découvre en quelques morceaux et deux ou trois lignes de texte, avec l’envie d’y revenir.
La seconde partie de l’exposition consacrée au hip hop arabe se concentrera d’ailleurs sur un des groupes écoutés précédemment, DAM, de Palestine. Créée en 1998 dans la ville de Lydda (Lod en Israël), la formation chante en arabe, en anglais, en hébreu, « leurs frustrations d’être des citoyens de seconde zone en Israël », selon l’exposition. Et s’inspire tout à la fois du Che et de 2Pac, ce qui en dit long sur les relations que DAM doit entretenir avec un régime répressif. Au 2e étage, les photographies grand format de Pierre Mérimée du groupe en concert en 2006, en Palestine ou en Cisjordanie, rendront leur combat d’autant plus actuel.
Toutes les facettes du hip hop
Vêtements, accessoires, bijoux, sneakers, clips, pochettes ne figurent pas comme pièces rapportées à l’exposition. Le deuxième étage s’ouvre sur un mur de vinyles suivi d’un mur de sneakers, rien que ça, et quelques tenues iconiques sont présentées.
La combinaison de Sidney, le classico Adidas, le bonnet Kangol, les sneakers de Public Enemy et même le name ring d’Akhenaton, qui n’a pas hésité à mettre sa collection personnelle à contribution : le deuxième étage souligne aussi la mode, la « vraie mode » qu’est le hip hop. Outre cet indéniable sens du style, il présente aussi de nombreux tableaux, souvent grand format (Guillaume Bresson, Kehinde Wiley, Vincent Bousserez…) qui relancent l’intérêt après la première partie de la visite. Et même des sculptures comme celle, sonore, de Zimoun, ou les platines en chêne et en épicéa de Jordan Bennett.
Une exposition en mouvement
On consacre facilement 1h30 pour l’exposition entière, d’autant plus qu’on ne la voit pas passer. Les différents témoignages réunis à l’Institut du monde arabe ne sont pas seulement des pièces de collection, mais aussi des oeuvres en train de se faire, comme la création in situ de Nassyo, Roots, qui investit l’Arabic Sound System de l’IMA.
Même l’escalier reliant les deux étages en est, avec ses murs couverts de stickers (aux rappeurs, DJ et groupes de venir représenter à leurs côtés !)
Quant à la salle consacrée au DJing, avec diffusion de vidéos, elle ne fait attendre qu’une chose : qu’un DJ vienne scratcher. Avec ces différents espaces qui rappellent le mur de boombox de l’entrée, l’exposition s’avère très accessible : c’est toujours pratique pour les photos, mais l’immersion est un peu plus renforcée. L’ambiance sonore composée par Thierry Plenel est brillante, et l’affichage des titres des chansons particulièrement bien pensé, ce qui facilite aussi la découverte des artistes.
« Hip hop : du Bronx aux rues arabes » est une expo immanquable, clairement, aussi bien pour découvrir le mouvement, remonter dans le temps de quelques années ou tout simplement découvrir des pièces extrêmement rares. Alors, oui, on pourra s’interroger sur la présence de Coca-Cola en sponsor. Mais Akhenaton lui-même a signalé dans un long post Facebook les raisons de ce sponsoring :
LETTRE OUVERTE A DES ESPRITS PLUS TROP OUVERTS Pour nos vrais fans, merci du soutien depuis ces nombreuses années, car…
Posted by AKHENATON on Sunday, April 26, 2015
« [O]u sont les mécènes français ou bien pensants sur cette exposition ?? (à part SonoVente). Jamais une expo n’a eu autant de difficultés à trouver des fonds… Pourquoi je ne suis pas surpris ? », Akhenaton
Quant à la présence de Jack Lang, personnage plutôt sulfureux dans le monde du hip hop (ce ne sont pas Niro, Mysa ou Zekwé qui viendront nous contredire), on peut souligner qu’il a été un des rares politiques à défendre le hip hop en France, notamment en ministre de la Culture. Le seul véritable défaut de l’exposition est peut-être de ne pas vraiment rendre compte de toutes les difficultés qu’a pu rencontrer le hip hop français avec la société médiatique ou politique, alors que les parcours arabes et américains le font, même succinctement. Un panneau l’évoque, deux exemplaires du Monde le montrent rapidement, mais quelques extraits de Rockin’ Squat à la télévision et autres perles de politiques sur le hip hop ou les immigrés n’auraient pas dépareillés… Mais l’histoire du hip hop français a souvent été racontée par ce biais, et il est aussi, voire plus intéressant de se centrer sur le mouvement en lui-même, comme le fait l’exposition, plutôt que sur l’image qu’en a la société. Clairement, il faut soutenir l’initiative et profiter de l’opportunité d’une visite, en faire un succès, pour voir peut-être un peu plus d’engouement patrimonial autour du hip hop français.
Crédits photo en-tête : « Aisha » par Noe Two / Affiche designed in Marseille by aKa