La Haine : Musiques Inspirées du Film

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La Haine : Musiques Inspirées du Film

Il y a 20 ans jour pour jour sortait « La Haine », le film culte de Mathieu Kassovitz. Traitant des violences policières en banlieue, il fut une source d’inspiration pour les rappeurs français de l’époque. C’est dans ce contexte que la compilation La Haine, Musiques Inspirées Du Film vit le jour.

Peu après 16h30 le 6 avril 1993 retentit dans le commissariat des Grandes Carrières (18ème arrondissement de Paris) un coup de feu dont l’écho se répercute encore aujourd’hui. Ce jour là, un inspecteur de police au bout du rouleau interroge le jeune Makomé, interpellé avec un de ses amis la nuit précédente en possession de 120 cartouches de cigarettes, suposées volées. Les aveux attendus ne viennent pas, la tension monte. L’inspecteur Compain sort alors une arme pour intimider l’adolescent. Il pointe l’arme sur son front. Lorsque Makomé tente de détourner l’arme le doigt de Compain de crispe et le coup part, « à bout touchant ». C’est cet événement même qui pousse Kassovitz à réaliser « La Haine ».

Le film, tout en divisant la population, devient un véritable phénomène médiatique. Plus de 2 millions de français se sont déplacés pour le voir. Le CD des Musiques Inspirées Du Film fut édité à 39 000 exemplaires au lieu des 10 000 initialement prévus. Cette compilation regroupant bon nombre de rappeurs en vogue a tout de l’opération marketing. C’est probablement ce qui a poussé NTM à ne pas participer au projet. L’album compte finalement 11 titres plus une intro. Ce sont tous des morceaux inédits (à l’exception de « L’État Assassine » d’Assassin), enregistrés pour l’occasion. Aucun d’eux ne figure dans le film lui-même, d’où la mention « musiques inspirées du film ».

La Haine: Musiques Inspirées Du Film s’ouvre sur un extrait sonore du film de Kassovitz. Il s’agit du reportage fictif sur des émeutes à la « cité des Muguets », quelque part en Île de France. La journaliste évoques des heurts entre jeunes et forces de l’ordre suite à la bavure policière qui a occasionné le coma d’Abdel Ichaha, un jeune habitant de la cité. C’est ensuite le Ministère AMER qui lance les hostilités avec le célèbre « Sacrifice de Poulet ». Sur une instru anxiogène, Stomy Bugsy lance un brûlot extrêmement violent à l’encontre de la police. Cette chanson vaudra au groupe une amende très salée, d’un montant de 250 000 francs (ça en fait des Pascals!) La compilation a ensuite été frappée d’une interdiction de réédition, ce qui explique la rareté et le prix élevé de ce disque aujourd’hui.

Tous les titres de l’album de ne sont pas aussi extrêmes que « Sacrifice De Poulets ». Les problématiques classiques de la jeunesse en banlieue sont toutes abordées. On ne peut pas pour autant parler de rap conscient. Beaucoup de rappeurs présents sur la compilation se contentent de décrire un quotidien terne, de déplorer un horizon bouché. Le groupe IAM (qui à l’époque n’avait pas encore enregistré L’École Du Micro D’Argent) dénonce l’impact de la télévision sur une jeunesse désoeuvrée. C’est la thèse classique selon laquelle la violence des émissions et des films auxquels les enfants sont exposés serait responsable de leurs dérapages. Que l’on croie ou non à cette théorie, « La 25ème Image » est très loin d’être à la hauteur de ce que le groupe proposera sur L’École Du Micro d’Argent.

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Les Musiques Inspirées Du Film ont permis au grand public de découvrir La Cliqua, le duo composé de Rocca et Daddy Lord C. Ils avaient été propulsés sur le devant de la scène un an plus tôt grâce à la Mixtape 11 enregistrée par Cut Killer. 1995 est l’année « La Haine », mais c’est aussi pour La Cliqua l’année de Conçu Pour Durer, leur premier EP sorti chez Arsenal Records. Même si le succès commercial n’est pas au rendez-vous, le duo acquiert une solide réputation et saisit l’opportunité de faire la première partie de Mobb Deep à New York. Rien que ça! Le morceaux qu’ils présentent sur la compilation inspirée de « La Haine » s’intitule « Requiem » là encore, c’est la déception. Leur flow habituellement si libre et rythmé paraît crispé et fade. C’est bien dommage de constater qu’une bonne moitié des morceaux du disque a été bâclée. Les rappeurs qui ont fait l’effort de participer au projet ne donnent malheureusement pas le meilleur d’eux-mêmes.

Parlons plutôt de ce qui est réussi dans ce disque. Car si les emcees ne sont pas à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’eux les producteurs, eux, ont tiré leur épingle du jeu. 20 ans après, certaines instrus n’ont pas pris une ride. Saluons tout particulièrement le travail accompli sur le très racailleux « Dealer Pour Survivre » d’Expression Direkt. Un autre des producteurs qui méritent d’être mentionnés est Jimmy Jay, l’homme derrière « Comme Dans Un Film » de MC Solaar. Suite à un conflit entre les maisons Delabel et Polydor, ce morceau n’apparaitra malheureusement que dans les premiers tirages de la compilation. « La Haine » a aussi inspiré aux Sages Poètes De La Rue un de leurs grands classiques: « Bons Baisers Du Poste ». C’est le titre à retenir des Musiques Inspirées Du Film. Avec le recul des années, c’est celui qui représente le mieux le rap français de l’époque. L’instru de Zoxea évoque le rap façon Time Bomb, le crew qui a révolutionné le rap français de la deuxième moitié des années 90.

L’autre réussite de La Haine: Musiques Inspirées Du Film, c’est d’avoir mobilisé les rappeurs français face au problème des violences policières. Cela fait maintenant bien longtemps que l’on a pas vu les cadors du rap accomplir un effort collectif pour faire avancer une cause politique. Le dernier rassemblement de poids s’est produit après « La Haine » en 1997 avec le morceau « 11’30 Contre Les Lois Racistes » (Les lois Pasqua-Debré). Dans les musiques inspirées de « La Haine », il n’est pas uniquement question de riposter aux récentes bavures policières. Le questionnement politico-social, même s’il n’est pas toujours très poussé ou clairvoyant, va plus loin que l’opposition frontale aux forces de l’ordre. À la fin de « L’État Assassine », Assassin rejette l’attitude « oeil pour oeil, dent pour dent » que l’on peut trouver dans « Sacrifice De Poulet » de Stomy Bugsy. Sté Strausz’, elle, cherche à faire changer le regard que les jeunes mecs des cités posent sur leurs « soeurs ». Les rappeurs d’Expression Direkt aspirent à libérer la jeunesse des chaînes du salariat.

« Ça y est ma tête explose / Toutes les valeurs s’entrechoquent / Car la question que je me pose est / Doit-on répondre de la même manière aux violences policières ? / Mais je ne changerais pas le cours de l’histoire si je shoote un commissaire / Si il a buté mon frère, ça pourrait me satisfaire / Mais le cul entre quatre murs il ne me restera que la prière. » (« L’État Assassin », Assassin)

Force est de constater que ce projet de chansons inspirées de « La Haine » a un fort parfum d’opération commerciale. Il est toutefois intéressant d’écouter ce disque 20 ans après, comme le témoignage d’une jeunesse excédée par l’impunité des agents des forces de l’ordre. Le 15 février 1996, soit près d’un an après la sorti de « La Haine », le policier qui avait tué le jeune Makomé écope de 8 ans de réclusion criminelle. En 2015, qu’est devenue la conscience politique des jeunes français? La sortie d’une compilation aussi virulente et spontanée paraît quasiment impossible aujourd’hui, tant  la jeunesse s’est détournée des questions politiques et sociales. Les rappeurs, et les artistes en général manquent également à l’appel. La contestation et la dissidence font peur, et trop peu d’entre eux s’y risquent. Le film et les chansons qu’il a inspiré sont en quelque sorte des pièces d’archives inspirées de l’actualité d’alors, qui ne manquent pas de nous faire réfléchir à l’état actuel de la société française.