Ghost Dog: Jim Jarmusch rencontre RZA
Le Hip-Hop dans l’oeil de la caméra
La culture Hip-Hop, bien que centrée à ses débuts sur le breakdance et la musique rap s’est malgré tout étendue au cinéma et autres arts. Avec la démocratisation de la technologie audio/vidéo dans les années 80, le 7ème art a pu descendre dans la rue. Nombre de documentaires se sont attachés à montrer au grand public cette street culture en plein essor. On pense notamment à Wild Style réalisé par Charlie Ahearn. Une fois sorti de l’underground, le Hip-Hop s’est invité dans le cinéma institutionnel, soufflant un vent de renouveau. En 1995, La Haine renverse les diktats et emporte le César du meilleur film.
RZA, un choix qui s’impose
On trouve un autre exemple intéressant de choc des cultures en 1999 avec le film Ghost Dog: The Way Of The Samuraï réalisé par Jim Jarmusch. En effet même si le cinéma de Jarmusch n’est pas élitiste, son style minimaliste et décalé font de lui un cinéaste difficile à catégoriser. Si l’on s’intéresse à la bande originale de ses films, on peut remarquer cependant une certaine fascination du réalisateur pour le jazz, le blues et le rock. Un collaborateur notoire de Jarmusch est Tom Waits, qui a participé à la bande son de films comme Down By Law et Night On Earth. En invitant RZA à composer la bande originale de Ghost Dog, on peut donc imaginer que le cinéaste a surpris de nombreux fans. C’était pourtant un choix évident quand on connait l’immense culture des membres du Wu-Tang Clan dans le domaine des arts martiaux.
« Him and GZA are like encyclopedias of martial-arts film. They don’t just know every director and actor; they know who choreographed the fight scenes, who did the design, who did this and that. » (Jim Jarmusch, interview pour The Village Voice le 25/08/2010)
Tous les morceaux utilisés par Jim Jarmusch dans la B.O. de Ghost Dog ont été composés et enregistrés spécialement pour le film (à l’exception des chansons que Ghost Dog joue sur l’autoradio des voitures qu’il vole). Cela dit, il existe une compilation de chansons inspirées par le film, sortie en 2000 sous le titre Ghost Dog: The Way Of The Samuraï, The Album. On retrouve notamment sur ce disque l’excellent « Samuraï Showdown », titre qui utilise pour instru le thème d’ouverture du film.
Ghost Dog, un samuraï dans le New Jersey
Chez The BackPackerz nous ne sommes pas critiques de cinéma, je ne me lancerai pas dans l’exercice périlleux de la critique de film. Je m’attarderai donc sur l’apport de la musique dans le film et les références à la culture Hip-Hop. Vous retrouverez une playlist regroupant certains extraits abordés dans l’article en bas de page.
La scène d’introduction, qui installe le spectateur dans le film est une prise de vue aérienne, qu’on imagine sans difficulté être le point de vue d’un des pigeons voyageurs domestiqués par Ghost Dog (Forest Whitaker). Le film a été tourné dans sa quasi-totalité à Jersey City, même si ce n’est jamais mentionné dans le film. Cette scène aérienne est accompagnée par le fameux « Ghost Dog Theme », utilisé par la suite pour la chanson « Samuraï Showdown ». L’élément qui surprend dans ce morceau est la présence en boucle du son produit par une machine, sans doute pour renforcer le caractère industriel de la zone survolée. L’ambiance distillée par cette intro est nocturne et hypnotique.
Dès les premières scènes du film Ghost Dog intrigue. Il vit dans une cabane sur le toit d’un vieil immeuble, sur lequel il possède un élevage de pigeons voyageurs. Son regard est triste et se perd sur les pages d’Hagakure, le guide des guerriers samuraïs. Des extraits de ce livre sont lus en voix off tout au long du film, pour introduire certaines scènes importantes. Pour commettre ses forfaits de tueur à gage, Ghost Dog se déplace dans des voitures volées. Il emmène avec lui sa collection de CDs qu’il écoute sur autoradio. Dans le film, la première chanson qu’il nous fait écouter est « From Then Till Now » de Killah Priest. On retrouve un peu plus tard le tube reggae « Armagideon Time » par Willie Williams.
Comme tous bon samuraï, Ghost Dog a prêté serment à un maître pour qui il accomplit le « sale boulot » sans poser de question. Ce maître, c’est Louie, un mafieux à la petite semaine incarné par John Tormey. Leur moyen de communication: le pigeon voyageur, à la patte duquel est attaché le message sous la forme d’un minuscule rouleau de papier. Seulement voilà, un de ces « contrats » tourne mal et Ghost Dog se retrouve avec la mafia aux trousses. Afin de ne pas spoiler le film, je ne dévoilerai rien de plus de l’intrigue.
Jarmusch filme le Hip-Hop
Jarmusch ne se contente pas seulement d’utiliser la musique de RZA dans sa bande son. Son film est truffé de références à la culture Hip-Hop, c’est une déclaration d’amour au rap. Le cinéaste fera d’ailleurs appel à GZA et RZA quelques années plus tard, pour une scène mythique avec Bill Murray dans son film Coffee And Cigarettes. Dans une scène à la fois terrifiante et ridicule, le gang de mafieux s’interroge sur la signification du pseudo Ghost Dog :
– Now what the fuck is his name?
– Ghost Dog.
(…)
– Ghost Dog?
(…)
– Yeah, he calls himself Ghost Dog. I don’t know, a lot of these black guys today, these gangsta type guys, They all got names like that they make up for themselves.
– Sure, He means like the rappers. You know the rappers, they all got names like that. Snoop Doggy Dogg, Ice Cube, Q Tip, Method Man… My favorite was always Flavor Flav from Public Enemy. You’ve got the funky fresh fly flavor. « Live lyrics from the bank of reality. I kick the flyest dope maneuver technicality. To a dope track »… I love that guy.
– I don’t know anything about that, but it makes me think about Indians. They’ve got names like Red Cloud, Crazy Horse, Running Bear, Black Elk.
Dans le rap game, avoir un bon blaze est essentiel, cela fait partie de la « street credibility ». L’usage de pseudonymes offre une part d’anonymat et renforce la mythologie du gang et du crime organisé. Les rappeurs qui utilisent leur nom d’état civil constituent une infime minorité.
Parmis les éléments iconiques de la culture Hip-Hop, on compte aussi le freestyle. Juste avant de rencontrer la petite Pearline (Camille Winbush) dans un parc de la ville, Ghost Dog écoute un groupe de jeunes rapper sur l’instru de « Ice Cream » de Raekwon. Parmi eux, on peut reconnaitre Timbo King et Dreddy Kruger, membres de Royal Fam. Le couplet que l’on entend dans cette scène est d’ailleurs tiré de la chanson « Y2K ».
Jim Jarmusch est un fan du Wu-Tang et le montre à de nombreuses reprises dans le film. Il faut bien avouer que leur fascination pour les arts martiaux et le cinéma asiatique faisait d’eux le « posse » le plus légitime pour apparaître dans la bande originale du film. Le réalisateur va même jusqu’à inviter RZA à figurer lors d’une courte scène. Filmé au ralenti, il croise et salue son ami Ghost Dog sur un trottoir de Jersey City. La musique de RZA qui accompagne cette scène est un de mes morceaux favoris de toute la B.O., dommage qu’il soit si court.
Ghost Dog est un film à conseiller à tout amateur de Hip-Hop, tellement il est important dans l’édification de l’imaginaire du rap underground. C’est un véritable hommage rendu au Wu-Tang Clan et à tous les Killa Bees. Ma présentation des clins d’oeil adressés au rap dans le film n’est pas exhaustive. Vous pourrez vous aussi vous amuser à les relever, ou tout simplement vous laisser porter par ce film étrange, tantôt sensible et drôle, tantôt sombre et violent.