Voilà 20 ans que The Score, album pharaonique des Fugees a marqué l’histoire et règne en maître sur les meilleures ventes d’albums hip-hop. 20 ans qui ont consacré cet album comme l’un des meilleurs opus de l’histoire de la musique et, paradoxalement, sonné le glas des Fugees dont chacun a souhaité exprimer son talent en solo. Aujourd’hui, il faut vraiment prêter l’oreille pour savoir ce que sont leurs projets mais peu importe : ils ont conçu cet album et ils l’ont plutôt bien fait. The Score.
Si The Score n’est pas le premier projet du groupe (précédé de Blunted Reality en 1994), au-delà de son succès, il est clairement sa signature artistique. En d’autres termes, si son succès ne relève pas de l’accident industriel, il a offert au Hip-Hop une couverture internationale jusqu’alors inédite sans en trahir les valeurs initiales. Il faut dire qu’avec cet album, les Fugees ont innové sur au moins deux aspects : intégrer et revendiquer des influences soul et reggae dans leur musique, et s’éloigner des thèmes habituellement échus au rap en le sortant du ghetto et en traitant des sujets plus universels.
From the Ghetto, To Everybody
The Score, c’est 13 morceaux et 60 minutes de plaisir dans sa version initiale et même 17 tracks pour la version Deluxe. C’est aussi pléthore de singles qui ont inondé nos radios et Walkman Auto-Reverse sur le chemin de l’école (« Fu-Gee-La », « Ready Or Not » ou « No Woman, No Cry »). Et c’est surtout, si on y pense, un album qui a façonné l’oreille musicale d’une génération maintenant stupéfaite par l’omniprésence du vocoder… Sans verser dans la nostalgie inutile ou le nauséabond refus de la nouveauté, on admettra que le scepticisme de certains puisse se justifier.
Côté production, des pointures : Lauryn Hill, Wyclef Jean, Pras Michel, Salaam Remi, John Forté, Jerry Duplessis ou Diamond D pour ne citer qu’eux. Si les trois premiers ne se présentent plus et qu’ils sont sur tous les morceaux de l’opus, les autres ont aussi de quoi bomber le torse quand on évoque leur parcours musical. A tout seigneur, tout honneur : Diamond D, membre émérite de D.I.T.C. qui a aussi prodigué ses talents sur The Low End Theory d’A Tribe Called Quest, entre autres. Des questions ? De son côté, John Forté a un parcours moins glamour puisqu’il a passé quelques années en prison pour une histoire de trafic de cocaïne. Si l’épisode judiciaire nous importe peu, il a quand même pris le temps de prêter sa voix et sa science créatrive à deux morceaux de The Score (le superbe « Family Business » et « Cowboys »). Sa signature ? Nous sommes en 1995 au moment de l’enregistrement et le son grimy marqué de l’authenticité est la norme. Sur « Family Business », Forté utilise alors de jolies boucles de guitares flamencos sur un beat boom-bap entrainant et sans faille qui exprime l’urgence de survivre prêchée par le morceau.
The Fugees – « Family Business » feat. John Forté
Quant à Salaam Remi et Jerry Duplessis, disons qu’ils sont très certainement les producteurs parmi les plus prolifiques de la Black Music des vingt dernières années. A titre d’exemple, Salaam Remi a produit les deux albums d’Amy Winehouse dont la qualité musicale est unanimement saluée, a composé trois morceaux sur le dernier album des Jurassic 5 (Feedback) et a assumé la direction musicale sur plusieurs titres de Hip Hop Is Dead de Nas.
Tout ce melting pot de talents et d’inspirations diverses de toute la Caraïbe a donné une musicalité plus abordable que le rap hybride et inédit que proposait le Wu-Tang par exemple. Et pourtant, s’ils sont indissociables du mouvement hip-hop, ils ont dû y faire leurs preuves comme le révèle leur productrice dans le documentaire Stretch & Bobbito : Radio That Changed Lives. C’était l’émission qui faisait un rappeur si son passage y était réussi mais qui enterrait définitivement ses espoirs de gloire dans le cas contraire. De plus en plus sollicités, les animateurs devaient gérer les égos et les passages et une maquette des Fugees leur a été proposée. A l’écoute, rien ne jurait, ils les ont donc invité. Et ça s’est bien passé. La suite, vous la connaissez…
The Fugees – « Ready Or Not »
Au final, il est difficile d’avoir un regard objectif sur un opus qui porte tant de souvenirs musicaux et personnels. Disons alors qu’il est pétri du talent de ses concepteurs qui y ont mis leur âme et leur foi. Dans leur message, dans leur musique, dans leurs racines et surtout dans leurs inspirations artistiques. Il est encore rare de voir des rappeurs proposer des reprises de morceaux avec une telle portée et surtout de les voir assumer une version différente mais offrant une nouvelle vibration à l’original. 20 ans après sa sortie, The Score, s’il ne répond plus aux canons de la modernité, est indiscutablement un grand disque. Un classique, à écouter sans modération, dont les morceaux n’ont jamais cessé de faire vibrer et les charts et nos oreilles.