Un fauteuil, une enceinte, un pot de fleurs et un vieux radiateur en fonte. Un mur blanc. Du parquet. Un lettrage simple, jaune canari. Ton sur ton. Cosy, posé et stylé. Tout Oddisee en une pochette d’album.
Rappeur et producteur originaire du Prince George’s County dans le Maryland, figure du groupe Diamond District aux côtés de X.O. et yU (The 1978ers), Amir Mohamed el Khalifa vient de sortir son dernier opus, The Good Fight, deux ans tout juste après le très remarqué Tangible Dreams. Fils d’un père soudanais et d’une mère afro-américaine, Odd cultive ses racines comme le papyrus du Nil où il passe tous les étés de son enfance. A la maison, bercé par les sons du oud et des congas, il se forge une culture musicale ancrée dans l’Afrique subsaharienne. Oddisee, qui produit maintenant pour les plus grands du milieu (Freeway, Jazzy Jeff, De La Soul…), et se pose au micro sur des sons de Flying Lotus, Kev Brown ou encore Erik Lau, représente plus que dignement le son du DMV (District of Columbia, Maryland, Virginia).
Album éclectique aux influences jazz et funk clairement assumées, The Good Fight a de l’assise. Ancré dans la tradition musicale originaire de Washington D.C., il emprunte au « go-go », musique populaire issue du funk et apparue au milieu des années 60, qui privilégie les percussions et les jam sessions. Basé sur l’immédiateté de l’échange avec le public, ce sous-genre du funk habite totalement The Good Fight. Dès le premier track, « That’s Love », on est plongé dans une instrumentation live tout en fluidité, un flow souple et chaud, un hip-hop affranchi du pur « beat & rhyme », comme on en entend de plus en plus (écoutez notre Heavy Rotation spéciale organic sound). Sur douze titres homogènes, Oddisee enveloppe son album de vibrations colorées : sa vision métissée du Hip-Hop. Chaque track est travaillé en continuité, servant un « tout » conceptuel qui sert la cause, un « keep it real » musical, aussi largement travaillé dans les textes. D’une franchise déconcertante, Oddisee a le verbe acerbe. Carnet de vie autant que témoignage, The Good Fight donne matière pour l’épanchement intime d’un rappeur ultra-conscient de ce qu’il est, sans malaise :
I pretend that I listen a lot when people say things I don’t really care about /
In one ear and it goes out /
And you wouldn’t even notice that my head was in the cloud.
(« Contradiction’s Maze« )
Avec des rythmes syncopés et une production qui célèbre les arrangements live, l’accent est clairement mis sur les lignes de percussion, et notamment les cymbales, symbole d’un swing presque identitaire chez Oddisee. C’est de la sérénité qui se dégage de The Good Fight, de la certitude aussi, celle que l’on peut être bon sans ostentation. Si le son paraît un peu trop déconnecté de l’émotion par moments – trop appliqué peut-être, plus méticuleux que groovy, ce qui gâche un peu le plaisir à l’écoute – The Good Fight est un album consistant. Sérieux dans sa démarche, sérieux dans son art, Oddisee livre une oeuvre d’une luminosité confortable. Peut-être aurait-on souhaité un peu plus de lyrisme, une tonalité plus fragile, légèrement rêveuse, la suite des aventures du gamin à vélo de Rock Creek Park… C’est un joli moment de musique, c’est droit. On aurait aimé tanguer. Juste un peu.