Juju Rogers – From The Life Of A Good-For-Nothing

Juillet 2015

Juju Rogers

From The Life Of A Good-For-Nothing

Note :

Cela fait déjà un certain temps qu’on vous parle du label allemand Jakarta Records. Une poignée d’artistes issus de cette écurie ont réussi à créer la surprise en faisant parler d’eux sur la scène Hip Hop internationale (Voir l’interview de Shuko). Cet été, préparez-vous à être transportés par From The Life Of A Good-For-Nothing, le premier album de Juju Rogers. Personne ne l’a vu venir, on a pourtant affaire à l’un des meilleurs albums de l’été (… de l’année ?).

Pour ce premier album, Juju Rogers rend un hommage très personnel au roman du même titre écrit par Joseph von Eichendorff, écrivain romantique allemand du 19è siècle. Le jeune rappeur teuton livre sa propre version de ce récit initiatique, au cours duquel un jeune homme un tantinet rêveur est sommé de quitter le refuge familial afin d’aller découvrir la vie en société. Peut-on parler de rap « littéraire »? Sans doute pas au même niveau que To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar, mais la référence explorée par Juju ainsi que la qualité des paroles relèvent d’un intellect supérieur à la moyenne. Le jeune poulain de chez Jakarta ne prend cependant pas le risque de s’aventurer hors des thèmes classiques du rap. En ce sens From The Life … n’est pas un album aussi déroutant que le dernier Kendrick.

« What’s poppin’ good old Germany / My name is Juju just in case ya never heard o’ me / I am the sherbet to the ways I speak / Create new life like the birds and bees / Check it out, ugh / Let me give you just a brief summary / On what you’re ’bout to hear, on these couple songs o’ me / Main character’s a young doug who wants to be one emcee / steady pushing forth on these hundreds o’ beats / Every second of his life until his lungs OD’d / It’s bass drum on 1 and 3, brought a lot of fun indeed / But that’s a lifestyle that his father didn’t want to see. »

On comprend très vite à l’écoute de From The Life… que Juju est resté bloqué sur le rap boombap des années 90. Esthétiquement, l’album évoque le son east coast de 1995 et fait revivre la légende de géants tels que Buckwild ou Lord Finesse. Pour ce qui est de la voix, Juju Rogers fait parfois penser à Keith Murray même si le flow des deux rappeurs est très différent. Heureusement, l’équipe de producteurs qui entoure le projet (Twit One, Freddy Bracker, JuSoul, Tufu, Bluestaeb, Knowsum et Kurdish Jackson) n’est pas dans la stricte imitation du Hip hop old school. C’est avant tout dans le choix des samples que la nostalgie de l’âge d’or se ressent. On a droit aux envolées de trompettes, aux arpèges de piano, au kicks et au snares bien lourds. Pas moins de sept beatmakers différents interviennent dans la conception de From The Life … Pour la plupart quasi inconnus, ils n’en délivrent pas moins un travail de (grande) qualité. Écoutez pour vous en convaincre le fabuleux « Dreams » produit par JuSoul. Ce dernier assure la production sur trois autres morceaux, tous très réussis.

Juju Rogers est un jeune emcee qui a la dalle, il le dit lui-même dans « Hungry », produit par Bluestaeb. Pour un jeune bavarois, se lancer dans une carrière rap n’a rien d’évident. Force est de constater que son premier album va bien au delà des espérances. Les rappeurs mettent habituellement un temps fou pour franchir l’étape du premier « Long Play », souvent après avoir semé sur le web une poignée de mixtapes et de featurings. Dans le cas de Juju, c’est comme si ce dernier d’existait pas dans la raposphère avant les compilations Summer In Jakarta et Winter In Jakarta sur lesquelles on avait découvert respectivement « Hungry » et « Streetlife » (rebaptisé « Long Way » sur l’album). L’ascension du emcee allemand est aussi mystérieuse qu’inattendue, ce qui rend encore plus jouissive l’écoute de From The Life …

« The hunger dominates the day we call it Ramadan / Underground partisan the party’s on / You know Ju is soul food, where is the Parmesan? / Ugh? Cheese, that is. A metaphor for dummies / But it underlines what’s happening in all my niggaz’ tummies / We hungry! »

Dans « Rapsuperstar », Juju Rogers annonce clairement l’objectif. L’univers du rap est très concurrentiel et il le sait, il va tout donner pour arriver à ses fins. Ce morceau n’est pas l’habituelle rengaine du « gros bras » du rap. Juju fait plutôt part de ses angoisses et de ses doutes; la peur de ne pas y arriver. Il montre toute l’étendue de son talent dans un hymne touchant à tous les « wannabe » qui galèrent dans l’underground, un hommage à ceux qui rappent devant 3 poivrots dans le fond d’un bar, à ceux qui bossent au macdo pour se payer une MPC. Ça sent le vécu, et rien que pour ça on est content de voir arriver Juju à ce niveau aujourd’hui. Devenir une star, c’est tout ce qu’on souhaite à ce emcee talentueux qui l’air de rien se paie un featuring avec Oddisee (sur « Dreams ») et délivre un album qu’on a écouté tout l’été et qu’on écoutera sans doute tout au long de l’année.