Joey Bada$$ – ALL AMERIKKKAN BADA$$

Avril 2017

Joey Bada$$

ALL AMERIKKKAN BADA$$

Note :

Depuis une dizaine de jours, nous avons eu la chance de pouvoir nous faire un avis sur le tant attendu album de celui qui a redonné espoir aux nostalgiques de la Golden Era et montré la voie au collectif Pro Era. Avec ALL AMERIKKKAN BADA$$, le Joey du même nom s’expose à pas mal de risques et doit livrer une vraie prestation d’équilibriste. D’abord parce qu’il s’agit de son second opus et surtout parce qu’il fait suite à un premier album quasi-unanimement salué. L’enjeu est de taille : il va devoir continuer à nourrir ses fans tout en tâchant de maintenir ce vent de fraicheur qu’il a fait souffler en janvier 2015. Bref, ALL AMERIKKKAN BADA$$ est de sortie et sans trop en dire, c’est assez heureux.

C’est peu dire que cet album était attendu. Pourtant, les deux ans qui se sont écoulés depuis la sortie de B4.DA.$$ n’ont pas laissé les fans de Joey Bada$$ sur leur faim. Très présent sur les réseaux sociaux, sortant des morceaux de haute volée (« Ready » et « Brooklyn’s Own », produits par Statik Selektah), des featurings où sa présence était souvent remarquée (avec notamment Your Old Droog, G Herbo, BJ The Chicago Kid, Nyck Caution ou Maxo Kream) et des freestyles qui mettent tout le monde d’accord, le rappeur de Brooklyn a présenté le premier extrait de son prochain projet avec « Devastated » et son numéro a commencé.

Pourquoi ? Parce que pour un premier extrait, il marque une rupture. Au moins dans la composition musicale et l’ambiance qui se dégage du morceau. Celui qui nous avait habitué à des thèmes sombres et très introspectifs revient avec des lyrics qui prennent (presque) le contre-pied de son titre. Oui il était dévasté par le doute mais il se sait maintenant sur un chemin où les portes s’ouvrent devant lui.

I used to feel so devastated
At times I thought we’d never make it
But now we on our way to greatness
And all that ever took was patience

Mélange d’auto-satisfaction et de sagesse, il faut croire que le premier single de l’album n’a pas été choisi par hasard… Pourtant, l’instru qui accompagne ces lyrics se veut en rupture avec les compositions sur lesquelles le MC appréciait de poser. Moins boom bap et plus ancrée dans une structure intro-refrain-corpus-outro où des riffs de guitare et des synthés vaporeux décrivent une ambiance de renaissance, ses choix artistiques donnent des accents plus « pop » au morceau.

Pourtant, dès ce track terminé, l’opus reprend avec un morceau sombre qui décrit les thèmes chers à l’inspiration de Bada$$ : l’inégalité des chances, le racisme, le rejet de l’autre et la triste sensation que l’Amérique blanche sera toujours un contraire plutôt qu’un soutien.

Why you can’t recognize my stride
Always gotta minimize my pride
Always gonna criticize my moods

« Y U Don’t Love Me Miss Amerikkka« 

Et ces thèmes seront très récurrents dans tout l’album, « Rockabye Baby« , le banger sur lequel il partage le mic avec ScHoolboy Q en est l’illustration parfaite.

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Notons par ailleurs que ​le MC de Brooklyn accorde une place de choix à New York. Tant dans sa prose que dans les productions (East Coast pur jus) et surtout parmi les acteurs du projet…. Outre les réguliers de Pro Era, on notera également la présence parmi les invités de Meechy Darko, le MC de Flatbush Zombies, et du vétéran Styles P. Les exceptions à ces origines ne sont autres que J. Cole qui pose, avec « Legendary » sur le morceau aux relents les plus jazzy, et le déjà mentionné ScHoolboy Q.

D’ailleurs, s’il est un morceau qui, pour nous, porte la marque de ce que doit être cet opus et de l’état d’urgence morale dans lequel se trouve la société américaine, ce serait assurément le surpuissant « Ring The Alarm » qui convoque (entre autres) la voix rauque de Meechy Darko. Voilà un morceau au boom bap puissant qui délivre un message parmi les plus sombres et les plus saisissants de cet album. Pourtant tout est en gradation dans ce morceau : d’un départ en douceur sur le premier couplet, Kirk Knight et 1-900 (les producteurs), inversent la donne et font passer la boucle de piano lancinante du background au premier plan pour accélérer la rythmique du morceau et lui donner davantage de mordant. En s’appuyant sur un beat puissant à la rythmique impeccablement maîtrisée, ils transforment le second couplet en rampe de lancement pour la verve de Bada$$. Sans la finesse des effets sonores, on aurait pu croire ce morceau diggé d’une mixtape perdue des 90’s.


​Mais c’est justement le paradoxe avec B4.Da.$$, nous le disions précédemment : il a su remettre au centre des textes et une musique qu’on pensait évanouis dans l’histoire de la musique et dans les casques des nostalgiques (avec lesquels nous partageons certainement de nombreuses références). Si nous taxions B4.Da.$$ d’œuvre post-moderne, ce nouvel opus s’inscrit dans la même veine. Pour ce qui est cité plus haut et parce que cette œuvre propose une réelle continuité avec le premier opus. Si son premier LP parlait de la découverte du succès, dans l’opus qui lui succède, il n’oublie pas ses origines et se complaît dans son succès sans jamais tomber dans un excès d’egotrip qui desservirait son message et son talent.

Fier de ses origines aussi bien new-yorkaises que caribéennes, il n’hésite pas à leur rendre hommage ainsi qu’au talent de Chronixxx (chanteur de reggae Jamaïcain) qu’il convie sur le joli « Babylon ». Notons d’ailleurs que Bada$$ n’aime pas être seul en piste. En témoignent la proportion de tracks sur lesquels il accueille des artistes (5 sur 12) et ses activités récentes que nous mentionnions plus haut.

​Alors quelles seraient les faiblesses de cet opus qui l’éloignent un peu du statut de chef-d’œuvre ? S’il est très réussi et représente une valeur sûre de la discographie de Joey Bada$$, on peut aussi lui reprocher son manque d’originalité ou de rupture par rapport à son premier essai. Nous avons conscience que la critique est facile et surtout que l’exigence est élevée tant cet album et le talent du MC ont peu à se reprocher. Pourtant, en signataire d’un renouveau postmoderne dans le hip-hop (si ce n’est le premier, au moins le plus populaire), la continuité pour Joey Bada$$ aurait du être la rupture ; et force est de constater qu’elle n’est pas le moteur de cet album. Rien de grave, on y retrouve le flow maîtrisé, les textes engagés et impeccablement écrits, la maturité et le style qui ont fait la signature de cet artiste déjà grand. Et honnêtement, son excellente prestation mérite son excellente note. Vous vous ferez certainement votre avis.