Par quoi commencer? Une annonce déjà : De La Soul vient de sortir son dernier album studio, le neuvième en date. Et coquetterie d’originalité : sa production a été entièrement financée par une campagne de crowdfunding gérée depuis Kickstarter. Implicitement, c’est peu dire que de signaler qu’aucun de leur projet n’aura autant appartenu à leurs fans. Et le résultat est… à l’image de ce groupe déjà éternel : envoûtant et décalé, avec cette petite dose d’imperfections qui le rend tellement Hip-Hop. and the Anonynous Nobody…
Hip hop? Qu’est-ce que ça veut dire déjà? Sous notre clavier, c’est simplement souligner combien la sève du mouvement irrigue la destinée de ce groupe. Ils ont su le malmener, en repousser les limites voire mettre en péril leur pérennité en y intégrant beaucoup d’audaces musicales et finalement en enrichissant le rap de sonorités jazz, rock, voire d’afrobeat qui servent une prose aiguisée. Soyons francs : leurs prises de risque n’ont pas toujours été concluantes et la manière dont ils entendent leur musique a parfois pu être déroutante. Pourtant, presque 30 ans après la sortie de 3 Feet High and Rising, le trio est toujours là et le prouve dans un album de belle facture.
L’album s’ouvre par un speech donné par Jill Scott (la diva de Philly qui a accompagné The Roots sur certains de leurs meilleurs morceaux) sur l’amour véritable et interroge sur la manière dont les gens savent aimer et accepter les épreuves de l’amour. Puis elle introduit « Royalty Capes » dont elle assure les refrains parlés. Le morceau en lui-même est porté par une ligne de basse précise et profonde, saupoudrée de notes jazzy amenées par des cuivres empruntés à la bande-son d’un…péplum !
De La Soul – « Royalty Capes »
Clairement, l’album démarre en fanfare (tu l’as ?) quand le trio se fait accompagner d’une autre légende, Snoop Dogg en l’occurrence, sur le superbe « Pain ». Intemporel avec cette basse funky à souhait, et l’ambiance tellement chill qui se dégage du morceau…. Le tout admirablement produit pour un rendu acoustique impeccable tenu par des basses d’une clarté remarquable.
Mais « Les Trois » sont de vieux briscards et après avoir installé l’auditeur dans un confortable fauteuil de basses, de caisses claires et de tempo réglés au beat près, c’est là que commencent les expérimentations qui signent la release du groupe. Toute proportion gardée, rien d’anarchique toutefois, bien au contraire, le trio fait appel à son savoir-faire et son appétit renouvelé d’élargir le champ des possibles. De La Soul intègre notamment de nouvelles sonorités (et pas mal d’effets sonores) et signe un album dont l’ambiance et le storytelling sont presque cinématographiques (les extraits de film distillés un peu partout sur l’album et une oreille sur « Sexy Bitch » par exemple devraient vous en assurer).
Musicalement, s’il n’y a pas de prouesse extraordinaire en terme de renouvellent du genre, le trio a su s’appuyer sur la recette qui a fait son succès : de la musique de qualité avec des arrangements beaux et efficaces, et une touche d’originalité lorsqu’ils n’hésitent pas à associer à leur rap des morceaux à la musicalité plus rock ou pop. Enfin, signalons le nombre d’invités dont le prestige n’a d’égal que le respect mutuel que les deux parties se témoignent au fil des morceaux. Parmi eux, citons Snoop Dogg, Roc Marciano, Estelle, Pete Rock, Usher, 2 Chainz ou encore Damon Albarn (le leader de Gorillaz). Bref, que du beau monde qui partage avec le groupe la même conception de la musique : rigueur, frivolité créative et impératif de plaisir.
De La Soul – « Whoodeeni » feat. 2 Chainz
Au final, cet album est clairement un bonheur à l’oreille. La musique y est excellente et groovy à souhait. Leur rap est de plus posé sans fioritures et sans accident (le contraire serait surprenant mais c’est aussi ce qui souligne la consistance des bonshommes). Le message aussi est clair : continuer à produire du rap de qualité et innovant sans trahir leur vocation originelle de diversité et de renouvellement du game (l’egotrip sur « Whoodeeni » en est un bel exemple). Le seul bémol, c’est peut-être la longueur de cet opus qui au terme de 17 pistes, fait le tour de la question et paraît s’essouffler un peu. Après, comment envisager que ce groupe pour lequel le respect de son public est primordial, qu’il le sollicite, puis qu’il le fasse patienter pendant des mois (quitte à repousser la date de sortie à plusieurs reprises) pour finalement livrer un album de seulement une douzaine de tracks? Impossible. Tellement qu’ils avaient même voulu faire patienter les fans en avril dernier en sortant un EP de 4 titres contenant des « chutes » de l’album à venir qui présageaient du meilleur. Sans savoir s’il a été atteint, la certitude c’est que cet album ne jure en rien dans la discographie du groupe. C’est même une valeur sûre qui l’enrichit. À recommander.
Ecoutez and the Anonymous Nobody… de De La Soul :