Mega Philosophy est le 5ème album du emcee originaire du Queens, Cormega. Entièrement produit par Large Professor, il est pour son auteur l’occasion d’exprimer avec force ses convictions. Après 25 ans de carrière, est-il encore capable de le faire avec la manière ?
Un album juste et cohérent musicalement
Cormega est depuis tellement longtemps dans le rap game qu’il fait partie intégrante de son paysage. C’est à la suite d’une collaboration récente avec Large Professor que les deux se sont décidés à faire ce projet qui représente beaucoup pour Mega, celui-ci considérant Extra P comme son producteur préféré.
Et à l’écoute de l’album, on peut aisément comprendre son opinion : la justesse de la production de Large Professor est criante. Rien de surprenant venant de la part du Mad Scientist, qui n’a jamais déçu tout au long de sa très longue carrière. Mais ce qui est particulièrement remarquable sur Mega Philosophy, c’est cette impression que chaque instru a été faite sur mesure pour les différents couplets de Cory McKay. Elles ne viennent en effet jamais voler la vedette à ce dernier, elles subliment juste ses propos. Hormis, « Industry », « MARS », et peut être « Divine Unity », aucune d’entre elles ne m’a véritablement bluffé. Pourtant, l’album dans son ensemble est extrêmement agréable à écouter d’une traite. C’est là le tour de force de Large Pro : offrir une production mettant parfaitement en valeur les talents de son compère au mic.
Concernant ce dernier, la première chose qui frappe est peut-être son flow. Il ne brille pas par d’incroyables prouesses techniques (hormis peut-être sur « Rap Basquiat »), mais il est d’une indéniable justesse, se calquant avec harmonie sur chacune des instrus sur lequel il se pose. Mega s’exprime avec une clarté impressionnante, offrant des propos très intelligibles. C’est très appréciable pour une oreille comme la mienne qui reste encore bien souvent obligée de se reposer sur Rapgenius pour comprendre les paroles de ses morceaux préférés. Cette intelligibilité se retrouve aussi dans ses propos. Ici, très peu de facéties : il va droit au but et ne s’embarrasse pas de fioritures. Ca ne l’empêche pas de nous offrir malgré tout quelques beaux moments comme sur « Industry » :
« When Styles made « I Get High » it was playin’ all day / When Styles made « I’m Black » it didn’t get enough play / I guess they got a problem with anything positive / Doesn’t make sense if it doesn’t bring dollars in »
« A soldier for his culture » en mission
Ce style épuré colle finalement parfaitement avec le personnage. Dans une passionnante interview avec Ali Shaheed Muhammad pour NPR, et alors que ce dernier le présentait comme une légende du Hip-Hop, Cormega déniait lui-même ce statut, préférant se qualifier de vétéran n’évoluant à ses yeux pas au même niveau que d’autres comme A Tribe Called Quest ou Eric B. & Rakim. Fort de ce statut de vétéran, estimé tant par le public que par ses pairs, Mega est habité d’une confiance inébranlable en sa personne et la pertinence de ses idées. Comme il l’a expliqué à Muhammad, c’est les constats qu’il a tiré de la situation actuelle (genre artistique en déclin, industrie musicale ravagée par l’avidité) qui l’ont motivés à faire cet album. Conscient de l’importance que peut avoir un artiste de son statut, il estimait être de son devoir de faire partager son expérience personnelle et sa vision afin d’influencer positivement le plus de gens possible. Ne se retrouvant plus dans certains artistes d’aujourd’hui et les valeurs qu’ils véhiculent, il en allait de son honneur de représenter fièrement la culture qu’il incarne. Même si elle n’a rien de novateur, une telle démarche est toujours à saluer. Mais pour être efficace, encore faut-il qu’elle soit correctement mise en œuvre.
Là encore, Mega ne fait pas les choses à moitié : on retrouve cette volonté sur la totalité de l’album, elle « l’habite » même. Chaque morceaux est imprégné des réflexions de Cormega, qu’elles soient tirées de ses expériences propres (son séjour en prison, son éviction de The Firm et son beef avec Nas, sa paternité) ou de sa vision de la société actuelle. Qu’il dénonce les travers de l’industrie musicale dans « Industry » ou se livre sur sa vie personnelle comme dans « Valuable Lessons », le MC de Queensbridge le fait toujours sans concessions. Cette obsession de donner de la matière à réfléchir (le terme « food for thought » revient très fréquemment tout au long de l’album) peut parfois donner à Mega un côté « donneur de leçon » potentiellement agaçant. Mais l’authenticité et l’intégrité de l’artiste l’empêchent de tomber dans ce travers.
Alors qu’on pourrait penser que les featurings pourraient biaiser un tel projet, ceux-ci ne nuisent au contraire en rien à l’homogénéité de cet LP et offrent même parfois quelques moments de fraicheur bienvenus au milieu de tant de sérieux, notamment l’appréciable couplet de Redman sur « MARS ».
Au final, Mega Philosophy n’est certainement pas l’album le plus inventif et créatif de l’année. Il reflète la personnalité d’un artiste aujourd’hui apaisé et habité d’une farouche volonté de défendre des valeurs qui lui sont chères et qu’il considère comme mises à mal. Alors certes, cela peut avoir l’air un peu désuet. Mais la ferveur qui habite cet opus lui donne une signification toute particulière. Aussi, à défaut de révolutionner le genre, il a le mérite de parfaitement répondre à l’objectif premier de son auteur, « to teach some valuable lessons ». C’est, à ce titre, un pari réussi.