Il le dit lui même au détour d’une rime : un contempteur bienveillant lui a rappelé que dix-neuf ans de carrière dans le rap, c’est long et que la fraîcheur à y apporter pourrait se faner. Sauf que Common revient aux affaires avec un onzième album et qu’il a décidé de placer la barre haut : Black America Again.
Au moment d’écrire, nous ne savons pas quelle était réellement l’intention dans le choix du titre de Common. S’il voulait faire sienne une partie du slogan qui semble avoir porté Trump à la présidence des États-Unis pour en récupérer ce qui pouvait l’être ; ou s’il adressait un message de colère et d’espoir à la communauté des Noirs-Américains. Certainement un peu des deux. Depuis, la Terre a tremblé et l’Art, inscrit dans une pensée minoritaire (et donc, par essence, dissidente aux États-Unis) doit prendre toute sa place. Nul doute que des albums comme celui-ci ou celui de Solange (A Seat At The Table) qui relaient le concept de négritude – dont l’acceptation outre-atlantique est forcément différente de la nôtre – auront une portée particulière tant dans la fin de l’ère Obama que dans celle qu’ouvre Trump, dont l’image augure moins d’ouverture et d’assimilation de l’autre. Si l’analyse mérite débats et contradiction, il était impossible de ne pas aborder l’actualité dans cette chronique. La raison est simple et double : le titre de l’opus renvoie à un message politique sur la condition des Noirs aux USA et Common a, depuis longtemps, politisé son discours personnel et artistique.
Mais revenons à la musique, et surtout à la proposition artistique de Common. En larguant un album dont l’intégralité de la production a été confiée à Karriem Riggins avec des apparitions de Robert Glasper ou Frank Dukes, Common a une nouvelle fois pris un risque. D’autant que le succès critique de son dernier opus était tout relatif. L’enjeu était donc de taille pour un rappeur dont la carrière qui s’étend sur plus de deux décades doit continuer à se singulariser dans un hip-hop en mouvement permanent. Soyons honnêtes, l’impression générale est très positive et on est même en droit de se demander si la galette qui tourne ne compte pas parmi les plus réussies de l’artiste. Avec des collaborations de haut vol et très cohérentes avec le cœur du message de l’album, Common compose une œuvre équilibrée et portée par plusieurs tracks de référence. Si peu de morceaux lanceront vos soirées les plus folles, il y a fort à parier que plusieurs d’entre eux vous accompagneront dans le métro ou dans la lecture d’un bel article.
Niveau production, le mot d’ordre est à l’éclectisme dans le rendu, même si le jazz prend l’ascendant artistique par la griffe du duo Riggins / Glasper. Et parce qu’il n’est jamais bon d’aller seul à la guerre, Common se fait accompagner de voix souls parmi les plus talentueuses de la musique noire contemporaine : Syd (« Red Wine » et « A Bigger Picture Called Free » ) dont les collaborations se multiplient, l’immense Stevie Wonder (« Black America Again » ) qui a écrit à lui seul un chapitre de la musique américaine contemporaine, Bilal, le vieux camarade de route (« Joy and Peace« , « Home« , « A Bigger Picture Called Free » et « Letter To the Free » ), BJ The Chicago Kid (« The Day Women Took Over » ), PJ (« Love Star » et « Unfamiliar » ) ou encore Marsha Ambrosius (« Love Star » ). Peu d’invités rappeurs : les kicks sont pour Papa mais la touche de velours est laissée aux professionnels. Et ils s’y prennent plutôt bien.
Common – “Black America Again” feat. Stevie Wonder
Il existe une tension incroyable dans ce morceau, caractérisée par la différence entre l’âpreté du flow et des couplets lancés par Common, et la voix cristalline et pleine d’espoir de Stevie Wonder. Les messages de l’un et de l’autre n’en n’en sont pas moins pessimistes mais ce contraste caractérise les deux visages que doit assumer cette communauté. Même si ce sont Glasper et Riggins qui ont signé la production, il y a fort à parier que l’œuvre de Wonder les a solidement inspiré. Les quelques notes au piano qui ouvrent le morceau et impriment sa mélodie n’ont pas pu échapper à l’auditeur attentif.
En quasi contre-pied, Common balance quelques tracks après l’énorme « Pyramids » dont le départ de la grosse caisse a forcément du fragiliser quelques cervicales. Voici un titre qui devrait rester parmi les plus remarquables de Common. Posé sur une production magnifique et entraînante, des grosses caisses dont la rythmique est taillée au cordeau apportent un rythme quasi étouffant qui sert le propos sans concession d’un Common décidément en grande forme. Petit clin d’œil également aux légendes du hip-hop avec le « cameo » d’Ol’ Dirty Bastard en fin de morceau. Ce n’est d’ailleurs pas le seul dans l’album puisque Riggins offre un vrai break quand Common en réclame dans « Love Star » teintant le morceau d’un humour bien senti.
Common – « Pyramids »
Au final, cet album fait le job. Cela paraît un peu rapide dit comme ça mais c’est vraiment le cas. Dans le sens où le titre de cet album peut donner le vertige, surtout dans le contexte politique actuel, et qu’il engage la réalisation de Common vers un certain niveau d’exigence qu’il atteint. En s’appuyant sur des artistes dont le talent et les univers sont complémentaires des siens, il livre une jolie prestation qui vient se ficher parmi les plus pointues qu’il ait proposées en plus de vingt ans de carrière. Si l’album évoque aussi un renouveau, il n’est en revanche pas certain que musicalement, il s’agisse de cela. Pourtant, il a pris des risques qui se sont révélés payants mais une fois de plus avec Common, sa musique sert son discours. Ne soyons pas naïfs, sortir cet opus le vendredi précédent les élections américaines n’est pas un hasard. Si initialement, il a voulu faire de son LP un phare dans le projet de la candidate déçue, son opus prend une toute autre résonance à présent, certainement plus contestataire. Hip Hop is living.