Trois ans après son dernier opus, Apathy revient cette fois-ci avec Connecticut Casual, un concept-album qui a fait peu de vagues. Il mérite cependant bien plus d’attention que ce qu’il a connu jusqu’alors…
Apathy, le vétéran immuable
Chad Bromley, plus connu sous le nom d’Apathy, est un vétéran de la scène underground du Hip-Hop américain. Depuis ses débuts en 1991 avec le groupe Demigodz, jusqu’à ses participations aux albums du supergroupe Army of the Pharaohs ou encore ses collaborations avec son compère de toujours Celph Tilted, il est resté l’un de ses artistes fidèles au fameux style boom-bap des années 90 : productions qui tabassent fort, lyrics incisifs. Apathy, c’est un peu comme Zach Randolph, le rugueux basketteur des Memphis Grizzlies : pas flashy pour un sou, il fait le taf avec régularité grâce à ses fondamentaux et une rudesse à toute épreuve. Bref, avec lui, on sait à quoi s’attendre et on est rarement déçu.
Son précédent opus solo, Honkey Kong, était sorti en 2010 et reste à mes yeux un des meilleurs albums rap de cette année. Les multiples collaborations, tant du côté de la production (Evidence, DJ Premier, Statik Selektah…etc.) que des featurings (Ill Bill, Slaine, Action Bronson… etc.) ne dénaturaient pas l’album, bien au contraire, celui-ci offrant de nombreux bangers.
Sur ce projet comme sur l’ensemble de sa carrière, Apathy montre régulièrement son attachement à son état d’origine, le Connecticut. C’est ce sentiment qui est au cœur de son dernier opus solo, Connecticut Casual, un concept-album dont l’objectif est de faire découvrir la face sombre de cet État américain et sa région, la Nouvelle-Angleterre, plus connue pour son aristocratie dont la famille Kennedy est l’une des plus fameuses représentantes.
Boom-bap et Georges Michael, un cocktail détonnant
Côté production, une différence importante comparée à son précédent opus : très peu de contributions extérieures (Da Beatminerz, The Doppelgangaz), la majorité des productions étant assurées par Apathy. Celui-ci n’est néanmoins pas un novice en la matière, ayant produit de nombreux morceaux pour Demigodz ou Army of the Pharaohs. L’EP bonus qu’il avait fait pour Honkey Kong suffisait s’il en était nécessaire à s’assurer des qualités du bonhomme.
Force est d’admettre qu’encore une fois Apathy ne déçoit pas, la grande majorité de ses productions sur cet album étant très réussies. Ce qui surprend cependant, c’est l’éclectisme dont il a pu faire part dans ses influences. Certes toujours très marqué par ce boom-bap style qui le caractérise tant, certains de ses morceaux vont piocher dans des styles très divers où l’on n’attendrait pas forcément le leader de Demigodz. Cela offre parfois de réelles réussites, comme sur ce « Martha Moxley » où il sample avec audace le fameux solo de saxophone présent sur « Careless Whisper » de Georges Michael (allez, faites pas genre ! N’ayez pas honte, tout le monde le connaît et a bien un jour dandiné sa tête dessus). Il y a aussi ce « Don’t Give up the Ship », que Wax Tailor et son « Que Sera » ne renierait pas. Les autres producteurs sont au diapason, proposant des morceaux efficaces qui collent bien avec l’ambiance générale. Globalement, l’ensemble sonore de cet album est très solide.
« Ray Bans, boat shoes, J Crew, I’m back in New England »
Côté lyrics, même constat: Apathy ne déçoit guère et nous raconte l’histoire de son Connecticut avec les qualités qu’on lui connaît: flow incisif, du story-telling efficace et des punchlines qui fracassent comme sur le début de « Locals Only ! » où il annonce d’entrée la couleur:
« I heard that your mom is a nympho, a stupid blond bimbo, sucked off all your friends in a prom limo »
Le vrai tour de force que réalise Apathy, c’est sa capacité à imprégner l’ensemble de l’album de ce Connecticut à double face, avec sa haute société et sa face cachée des plus sordides. Tout au long de l’album, il nous dresse avec brio un portrait de sa région, son histoire personnelle se mêlant efficacement aux chroniques locales les plus marquantes. Ajoutez-y les usuelles références à la mythologie égyptienne et le traitement de thématiques générales chères à Apathy (consumérisme… etc.) et vous obtenez un album très solide et singulier. Un mot enfin sur les featurings : Apathy a fait le parti-pris compréhensible de faire appel à des rappeurs du cru, souvent peu connus. Force est de reconnaître que le choix s’est avéré payant: bien que n’ayant rien de transcendant, Hayze, Chris Webby et ANoyd font parfaitement leur job. Mention spéciale au dernier cité et ce passage sur « Locals only! »:
« To leave your eyes black on both sides, mos’ definitely »
En conclusion, Connecticut Casual nous donne ce à quoi l’on peut s’attendre d’un album d’Apathy: un opus solide avec de bons bangers. Le concept original du projet s’avère excellent et parfaitement maîtrisé, dotant cet opus d’une ambiance particulière qui lui offre à coup sûr une place à part dans la discographie du rappeur de Willimantic. Malgré quelques temps faibles, tel le titre « Underground Chick », le disque reste très agréable à écouter et réalise le tour de force de représenter avec réussite une région peu connue dans la culture Hip-Hop américaine. C’était l’objectif avoué d’Apathy et force est d’admettre qu’il l’a accompli avec succès.