Brooklyn le film, le « Do The Right Thing » à la française

Brooklyn le film, le « Do The Right Thing » à la française

Samedi dernier, on a eu la chance d’être invité à la projection en avant-première de Brooklyn, le film de Pascal Tessaud dont tout le monde parle ces derniers jours, sorti en salle mercredi dernier.

Comme son nom ne l’indique pas, Brooklyn est un film sur la ville de Saint-Denis qui raconte plus particulièrement l’histoire de Coralie ou Brooklyn (son nom de rappeuse), qui quitte la Suisse de son père pour venir s’installer à Paris. Elle trouve refuge chez une retraité (Odette) à Saint-Denis où elle vit de petits boulots et de magouilles. C’est lors d’une des nombreuses soirées open mic de la ville qu’elle va monter sur scène pour la première fois et impressionner l’étoile montante du rap, Issa, par ses talent de emcee.

Au-delà de l’omniprésence du rap dans le sujet du film, Brooklyn est un film 100% Hip Hop car produit « avec les moyens du bord ». Un film réalisé hors des circuits traditionnels de la production cinématographique, filmé au 5D, soutenu par une campagne de crowdfunding et dont la plupart des acteurs n’avait auparavant jamais joué la comédie. Pour autant, le film de Pascal Tessaud est tout sauf amateur. L’image est d’un incroyable esthétisme (poussant la comparaison avec Do The Right Thing), le son est digne des meilleurs films Hip-Hop (avec une bande son réalisée par DJ Dusty de Jazz Liberatorz, la rappeuse Akua Naru et des beats signés Khulibai) et surtout la performance livrée par l’intégralité des acteurs est d’une authenticité et d’une justesse bouleversante.

« Faire un film guerilla, c’est lutter contre une représentation monochrome ou anxiogène des banlieues à l’écran comme dans les médias. » affirme Pascal Tessaud. Ce choix est une franche réussite car jamais, depuis La Haine ou Ma 6-T va crack-er, la banlieue n’avait été représentée d’une aussi belle et juste manière. Brooklyn montre la banlieue sous toutes ces nuances : d’un côté la beauté du multi-culturalisme, la rage de vaincre des laissés-pour-compte et la force du tissu associatif d’un côté; de l’autre les faux-idéaux inspirés du rêve américain, le matérialisme et la délinquance.

« Dans les quartiers, il y a une sorte de rêve américain, parfois un peu cliché. Brooklyn parle de cette ambivalence : cette fascination pour une contre-culture étrangère, tout en étant une réflexion sur l’idéologie capitaliste qui pervertit les esprits en banlieue, dans des milieux pauvres. »

– Pascal Tessaud.

En plus de montrer la banlieue sous un angle original, Brooklyn réussi également a donné une autre image du rap français (chose que n’avait pas vraiment fait Kassovitz ou Richet dans leurs films respectifs). En suivant les aventures de Coralie, la rappeuse suisse qui officie dans la vraie vie sous le blaze de KT-Gorique (retenez bien ce nom), on découvre une culture Hip-Hop de banlieue à des kilomètres de celle des clips de certains rappeurs français : scènes ouvertes, ateliers d’écritures ou block party (où l’on croise en autre Gaël Faye, Radikal MC ou Némir), c’est tout ce petit monde qui continue de transmettre les valeurs du mouvement aux jeunes générations depuis les années 80. Un mouvement que l’on sent cher au réalisateur Pascal Tessaud qui déclare : « réaliser Brooklyn pour moi, c’est payer ma dette envers une culture autodidacte, universelle, qui m’a donné envie d’ouvrir des livres, dans un questionnement artistique, politique, littéraire« .

A la manière d’un Do The Right Thing (ou Crooklyn), Brooklyn réussit à capter toute l’énergie et la générosité d’une population qu’on ne voit quasiment jamais au cinéma mais qui a pourtant ce petit « supplément d’âme », cette rage de vaincre et ce sens de la débrouillardise qui sont les plus vieux fondements de notre culture Hip-Hop. Cette énergie est incarnée à merveille par la rappeuse KT-Gorique, une perle rare qui crève tout simplement l’écran tout au long des 83 minutes du film.

Mais Brooklyn est aussi un combat, celui du cinéma indépendant contre le Goliath commercial. Celui d’un réalisateur influencé par le cinéma de banlieue à l’américiane (Spike Lee en tête) – mais aussi par Abdellatif Kechiche ou Paul Carpita (à qui le film est dédié) – qui tente de prouver au monde entier qu’en 2015 il est possible de produire un film de qualité sans les millions de dollars du cinéma hollywoodien. Un combat qui ne fait que commencer puisque le film, qui a remporté un franc succès au sein de nombreux festivals internationaux (ACID de Cannes, Urban Film Festival à NYC…), doit désormais convaincre les français afin qu’il reste programmé plus d’une semaine dans nos salles de cinéma…Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

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