9th Wonder : « Faire du Hip-Hop une institution »
9th Wonder et The BackPackerz étaient faits pour se rencontrer. Le super-producteur, adepte d’un son boom bap 90s à base de samples soul et ultra engagé dans l’éducation par le Hip-Hop (via ses multiples interventions dans les universités américaines), correspond parfaitement aux valeurs que nous tentons modestement de défendre sur ce site. Avant son set au Djoon à Paris, 9th Wonder nous a ainsi accordé quelques minutes en sa compagnie. Le natif de Caroline du Nord se confie sur sa vision du hip-hop en tant qu’institution, son label ainsi que ses projets à venir. Un entretien enrichissant avec un vrai passionné.
The BackPackerz : On est très intéressés par ce que tu fais d’un point de vue éducatif depuis quelques années (cours dans différentes universités, ouverture d’un Hip-Hop Institute à NCUU…). Quelle importance revêt pour toi le fait d’éduquer les jeunes à cette culture Hip-Hop ?
9th Wonder : Le plus important pour moi, c’est de faire du Hip-Hop une institution. Je viens juste d’aller au Louvre, et, à un moment donné, certaines personnes ont dû avoir assez de force de persuasion pour décider que ce tableau de Léonard de Vinci, ou d’autres, devrait être étudié et enseigné durant les siècles suivants. Moi, je veux être celui qui décide qu’Illmatic est une œuvre d’art qui doit être étudiée pour les siècles à venir. Pour pouvoir faire cela, il est donc nécessaire de créer cette institution, qui doit vivre en dehors des simples ventes d’albums et voitures de luxe. Le Hip-Hop est un art qui comprend des pièces uniques qui doivent être enseignées aux générations futures, grâce à cette institution.
Aura-t-on bientôt la chance de voir le documentaire The Hip-Hop Fellow projeté à Paris ?
Si quelqu’un veut bien l’amener ici, bien sûr ! Vous savez, il y a des gens qui ne comprennent pas le Hip-Hop, et qui ne le comprendront jamais, et ce n’est pas un problème. Moi, je veux juste qu’ils comprennent notre passion, pourquoi nous l’aimons autant. Je pense que la passion est la base fondamentale de tout, et c’est elle qui va parler aux gens, qu’ils fassent partie de la communauté Hip-Hop ou pas.
En tant que directeur de label, y a-t-il justement certaines valeurs ou caractéristiques que tu recherches chez un artiste que tu signes ?
Vous savez, j’ai commencé dans un groupe qui s’appelle Little Brother, on était trois potes qui ne venaient ni de New York ni de Los Angeles mais de Caroline du Nord, mais on faisait un son qui ne sonnait pas Caroline du Nord. On faisait nos beats sur ordinateur, tout le monde se moquait de nous pour cela à l’époque, et maintenant tout le monde produit sur ordinateur. Je pense que j’ai toujours su choisir le meilleur parmi un ensemble plus vaste, trouver l’aiguille dans la botte de foin en quelque sorte. Je ne veux pas choisir les plus faciles, cela a déjà été fait maintes fois. Je choisis toujours quelqu’un qui, une fois qu’il a mis le pied dans la porte, devient difficile à déloger, car il se sera déjà constitué une solide base de fans. C’est tout ce que je sais faire, je ne sais pas si c’est un plus ou un moins, mais au vu de ma longévité je pense que ce n’est pas si mal.
Tu as déjà travaillé avec un tas d’artistes de renom, mais y en a-t-il encore avec qui tu rêves de collaborer ?
Si j’arrive à le trouver, MF Doom ! Il est vraiment difficile à atteindre. Sinon, j’ai toujours été un fan de T.I., je trouve qu’il sonne fantastiquement bien sur des beats soul. Il est tellement sous-estimé comme rappeur…
En ce moment, on est très fan de Khrysis, un producteur signé sur ton label Jamla, peux-tu nous en dire plus sur lui ?
Khrysis est un des membre originels de The Justus League, dont il fait partie depuis un bon bout de temps. Pour moi, il est de loin l’un des meilleurs beatmakers de notre génération. Il est meilleur que moi ! Producteur et beatmaker sont deux choses distinctes ; j’ai peut-être été crédité à la production de pas mal de bons morceaux, mais le catalogue de beats que possède Khrysis est juste incroyable. Il est l’un des meilleurs que j’ai jamais entendu, point barre. Je suis heureux qu’il soit dans mon équipe et pas dans celle d’un autre.
Est-ce difficile pour toi de conserver ce style plutôt boom bap 90s qui te caractérise tout en restant pertinent et moderne ?
Pour être honnête, je pense que j’aurais davantage de reconnaissance en faisant ce son boom bap si je venais de New York. Venant d’où je viens, ce n’est pas aussi facile, je dois travailler encore plus dur. Pendant cette tournée, par exemple, certaines personnes pensaient qu’on venait de NYC, c’était même parfois écrit sur les affiches des concerts ! C’est sûrement un des revers du fait que cette ville soit la Mecque du Hip-Hop. Ceci dit, pour moi, ce que je fais n’est pas du boom bap, c’est de la Soul, et la Soul doit continuer d’exister. Si les autres veulent se mettre à l’electro ou à la Trap, c’est cool, mais moi je pense que la Soul doit demeurer vivante. Nous ne sommes plus beaucoup à conserver ce style, mais paradoxalement, je vois aussi beaucoup de jeunes de 16 ou 17 ans le pratiquer. La question est donc : parle-t-on de boom bap 90s ou bien de boom bap des années 2010 ?
Pour finir, quels sont tes prochains projets ?
Le prochain projet à sortir sur Jamla concerne un artiste qui vient d’Oakland et qui s’appelle GQ. Son album Rated Oakland sera dans les bacs le 24 juin prochain, et il vient de finir le tournage du titre « Another Role », qui sera un super single. Après ça ce sera au tour de Big Remo. Je suis fier de lui car il vient de ma ville. Personnellement, je travaille sur un album avec Talib Kweli, qui sera produit par le Soul Council et non pas uniquement moi. Je bosse également sur un autre album avec Terrence Martin, qui devrait être fun. Enfin, je pense que David Banner et moi-même allons sortir un nouveau projet. On espère en tout cas !
Crédit photo : Coup d’Oreille