420 : le rap et la weed, un joint les unit

420 : le rap et la weed, un joint les unit

La musique n’a pas attendu le rap pour être associée avec toutes sortes de stupéfiants, mais il est à peu près certain que les rappeurs sont ceux qui ont le moins dissimulé leur amour de la verte. Entre consommation sans modération, passage obligé, source d’inspiration et business complémentaire, on déroule et on roule l’histoire flamboyante de la weed et du hip-hop.

De l’ascèse au gangsta shit

On aura beau abuser du pilon, impossible de prétendre que le rap est le genre musical qui a fait découvrir la weed, ou même qu’il est celui qui l’évoque le mieux. Outre le reggae, et particulièrement sa branche rastafari où le fait d’en fumer constitue une quasi obligation sanitaire et politique, les reefers des jazzmen, dans les années 1930, étaient un bon moyen de lancer un jam.

Encore plus évidente, les années 60-70 et leur musique pop, rock, psychédélique puis fusion, au fur et à mesure que s’enchaînent les blunts. Des Beatles à Bob Dylan, en passant par Jimi Hendrix et George Clinton, l’herbe semble bien être le dénominateur commun des musiciens de l’époque et de leurs auditeurs (se défoncer à l’herbe sur Dark Side of the Moon, une cérémonie initiatrice pour beaucoup…)

Lorsque l’histoire du rap commence réellement, les années 1980 et l’Amérique de Reagan sont sur le point de s’imposer. Les groupes et musiciens s’inspirent à coup de cocaïne, quand les quartiers pauvres saturent d’héroïne et de crack. À l’époque, ceux qui rappent le font pour éviter de suivre le rythme de cette dernière défonce qui très lentement et détériore tout le corps.

Il y a les « Junkies in the alley » comme le rappent les Furious Five sur « The Message » de Grandmaster Flash : un des premiers hits du rap, loin de faire l’apologie des substances. Le rap d’alors, vecteur d’un mode de vie sain, parfois moralisateur, ne s’embarrasse pas des drogues : il est synonyme de paresse, d’immobilisme et de vide intersidéral. En gros, c’est ce que prennent les « wack MCs ». La tendance s’inversera parfois, dans les couples formés par rap et house, au bénéfice de la cocaïne, mais les éléments positifs liés aux substances sont rares.

« Nous avons fait des disques de l’âge du crack, quand tout était surexcité, hyperactif et déphasé. Dre est arrivé avec “G Thang” et a ralenti tout le genre. Il a fait passer le hip hop de l’âge du crack à celui de la weed » expliquait Chuck D en 2012 à Rolling Stone. Son compère de Public Enemy, Flavor Flav, le découvrira à ses dépens en devenant lui-même accro au crack dans les années 90, dépensant 5,7 millions $ en drogue dans les années 1990.

Évidemment, c’est le gangsta rap qui popularise la marijuana dans le rap game : il suffit de regarder la pochette de 2001 ou le dos de celle de The Chronic de Dr. Dre pour déceler de légères allusions à la marijuana.

dr-dre-chronic-weed (1)

Rap et weed, des plants communs

Après ces albums, et même déjà avant (Eazy-E le dopeman), le marijuana devient la raison pour laquelle certains rappeurs jardinent. Cypress Hill profite du soleil de la Californie pour s’arroger les plus gros blunts, Method Man les préfère « tical » (un pétard trempé dans du syrup avant d’être séché et évidemment fumé) et les éternels Beastie Boys enfument toujours New York. On raconte, à tort ou à raison, et peut-être un peu des deux, que des labels comme Ruthless, Rap-A-Lot, Roc-A-Fella, ou bien sûr Death Row se sont forgés sur le business forcené et illégal de la weed.

Si les exemples ne manquent pas avant Dr Dre, c’est véritablement lui et Snoop Dogg qui popularisent le joint, en remettant au passage au goût du jour le mythe du pimp, déjà convoqué depuis quelques années par plusieurs rappeurs, comme Ice-T ou Big Daddy Kane. Le blunt, roulé serré, devient un élément de la panoplie du pimp, avec les vêtements noirs ou violets de velours. Pourtant, si l’on se réfère à Pimp, d’Iceberg Slim, roman qui fait office de Bible pour les ganstas rappers, « L’herbe, c’était bon pour les putes »… Snoop aurait-il oublié de réviser son classique ? Dans le débat sur bienfaits ou les méfaits du joint, Iceberg Slim a choisi son camp : « La confusion mentale qu’elle entraînait ne convenait pas à un mac. » On va dire que certains s’en sortent mieux que d’autres…

Iceberg Slim

En France, la présence de la marijuana est plus ou moins diffuse : le très bon groupe Schkoonk Heepooz, qui décrit en phonétique comment la marijuana vient au monde, lui rédige une ode, quand NTM lui fait rapidement un sort et un hit avec « Pass pass le oinj » en 1995. La proximité entre les scènes rap et ragga aide un peu, et le message est clair : « Légalisez la ganja », proclament les Raggasonic sur leur premier album. Si le rap français n’a jamais été aussi excessif que le rap US, la culture du joint a toujours fait partie du hip-hop. En bien et en mal aussi, d’ailleurs : « Jsuis pas un blaireau, jréfléchis/prends pas ça pour du chichi/quand j’écris j’m’applique/pendant qu’d’autres ingurgitent du te-shi », lance Haroun de la Scred Connexion sur la compilation de Cut Killer, Opération Freestyle. L’état de la région parisienne et des banlieues françaises, où se développe beaucoup le rap, oblige pratiquement à côtoyer la drogue, tant le trafic de drogues reste un des seuls moyens de gagner sa vie pour une bonne partie de la jeunesse de ces territoires. Quand un rappeur évoque « la bicrave », c’est généralement qu’il l’a pratiqué à un moment ou un autre.

Aujourd’hui, la weed infuse doucement le rap français, pour le meilleur comme pour le pire : il y a différents types de fumette, mais « Les bobos fument, les cailleras fument/Les hippies fument, les keupons fument/Les hipsters fument, les darons fument », comme le résume A2H sur « Une dernière fois ». Contrairement aux États-Unis, la France a toujours été moins flamboyante dans sa consommation, même si le discours des rappeurs sur celle-ci a toujours été sensiblement libéré. La fumette francophone a toutefois gagné de sérieux alliés avec les rappeurs de Bruxelles et de la Belgique, Caballero et Jean Jass en tête : les deux compères se sont d’ailleurs récemment lancés dans le podcast vidéo avec « High et Fines Herbes », une émission qui mêle, vous l’aurez deviné, weed et cuisine…

Au contraire, aux États-Unis, les années 2010 sont celles de la surenchère avec Lil’ Wayne et Rick Ross, où la marijuana devient un signe extérieur de richesse comme un autre. « Pussy Money Weed », avec parfois des armes en prime. C’est le style gangsta poussé à son paroxysme, jusqu’à une parodie parfois assez réjouissante ou un dégoût profond pour certains titres qui se résument à de l’esbroufe. Sur ces derniers, le stock de marie-jeanne dégage alors un désagréable nuage de fumée, celui qui reste collé aux cendriers où s’empilent les culs de joints.

Vers un joint banalisé ?

Le rap américain actuel reste lui aussi nappé d’une vapeur de marijuana, qu’une bonne partie des jeunes artistes consomme, avec ou sans ajout de syrup, la dernière grande drogue du rap US : Wiz Khalifa, ScHoolboy Q, Kid Cudi, Action Bronson, A$AP Rocky, Rihanna… Toute la scène se montre en train de fumer de la beuh, mais d’une manière quasi-saine, végan, parfaite sous un filtre Instagram… Même Drake s’y est mis, c’est tout dire. L’analyse de données réalisée sur Medium et retranscrite dans notre infographie « American Most Blunted » à partir des lyrics de rap le prouve : c’est dans la décennie 2010 que l’on parle le plus de weed.

weed and rappers hip hop coverA LIRE : Infographie : la weed et le rap américain

D’ailleurs, on n’a pas perdu de temps du côté des anciens, avec des investissements massifs dans le commerce lié à la marijuana : ici, point de trafics illicites mais de la vente de marchandises pour fumeurs, essentiellement des blunts électroniques, pour fumer la verte sans tabac. Ghostface Killah, B-Real, Action Bronson, les collaborations entre les anciens et les start-ups de la dépénalisation (notamment Grenco Science) se multiplient. Snoop Dogg est indéniablement un des plus engagés pour la cause, avec le lancement d’un site web d’informations sur la marijuana:  merryjane.com. En 2012, Snoop D O Double G avait d’ailleurs ouvert la voie avec un livre… à rouler. En gros, roll that shit, light that shit, smoke it !

mery-jane-snoop-dogg-website

Page d’accueil de meryjane.com